Funtime Anyone ? PFDF 2017

Le voyage à Paris n’a jamais rien de bucolique ou de divertissant. Finie la joviale candeur du provincial découvrant Paname. Votre mâchoire ne se décroche plus, la pupille ne se dilate pas. Et par quel miracle le pourraient-elles à la vue affligeante des abords de la gare Bienvenue-Montparnasse, la bien mal nommée. Des immeubles dégoulinant de crasse dont la seule touche vivante est l’éclat coloré des graphs et tags.

En grande capitale internationale, il est habile de fermer la plus importante station de métro de la gare, point névralgique de tout voyageur et de n’offrir comme alternative que de vagues panneaux vous obligeant à emprunter le RER. Pour aller du sud à l’Est de Paris, j’ai mis autant de temps que de Rennes à Paris !

Il fait beau et c’est appréciable, ça change du couvercle gris breton qui ne nous lâche pas depuis quelques semaines. J’aime aussi Paris pour la vie des ses quartiers. Du métro aérien, je vois des marchés égrainant leurs étals parcourus par des familles fourmis. Ça se gâte vers la porte de Bagnolet. Voilà 15 ans que je fréquente ce salon de la poupée et il est toujours obscène de dépenser autant d’argent pour des objets si délicats et précieux après avoir traversé un quartier si désolé. Rien n’a évolué depuis, les vendeurs à la sauvette sont toujours là ainsi que les mendiants et les matrones en djellabas. Reprendre son métro, les bras chargés de gros sacs rose vif estampillés Barbie est comme visiter le Vatican en bikini, de la pure provocation . Autrefois, on croisait d’imposantes et voyantes américaines aussi blondes que leur poupée effigie. Maintenant, c’est tout juste si l’on rencontre un pauvre français appréciant sa pose clope.

J’ai un peu la boule à l’estomac à la pensée de revoir le petit monde français de la poupée. Il y a un an, jour pour jour, j’étais hospitalisée et depuis mon quotidien est en vrac. Je culpabilise malgré des circonstances indépendantes de ma volonté. Mon bébé Miss Vinyl a qui j’ai donné vie s’est affaibli jusqu’à la paralysie. Revoir les gens du milieu est un marqueur dans ma timeline qui me fait prendre conscience que la fin de cette aventure approche.

J’ai de la chance, je tombe dans l’entrée sur de solaires italiens qui avec une sincère inquiétude me demande « Où est Miss Vinyl ? » Ce qui me fait réaliser qu’un bon nombre d’entre nous essaient de trouver leur chemin dans les limbes. Les conversations charrient les mêmes termes, apathie du milieu, abandon des collectionneurs, opacité du marché. Tant de gravité à peine franchi le seuil du salon.

Le dîner de convention autrefois si fantastique et animé se tient désormais dans une salle de taille très confidentielle me dit-on. La défection des fabricants de poupées y est pour quelque chose. Tonner a quitté la scène et Mattel n’y met pas beaucoup du sien. Des fois, ces fabricants me font penser à des parents autoritaires. Si les collectionneurs toujours considérés comme des enfants gâtés ont le malheur de geindre ou de critiquer, ils sévissent et punissent.Concernant les poupées de convention, après avoir dénigré les variations capillaires des silkstones articulées, Mattel nous donne peut-être une leçon en présentant une barbie au corps de playline aux articulations disgracieuses à peine cachées par une robe sans coupe en lycra irisé version super-héros. Seule la tête est digne d’une barbie de collection. L’inspiration en est La La Land du moins au niveau chromatique.

[slideshowck id=11886]

 

Comme à chaque fois, les réactions ont été violentes sur la toile, certains criant au scandale, d’autres défendant Mattel avec beaucoup d’hypocrisie ou de bienveillance. On a le souvenir de mauvaises passes chez Mattel (rappelez-vous la Barbie du Monde Corée et son vêtement en matière Kway qui a été le signe avant coureur d’une chute passagère) et on craint toujours que ce moment fatidique n’arrive et nous prenne au dépourvu (un peu comme chez Tonner). Mais Mattel a toujours eu la puissance financière de rebondir et rapidement.

Certains avancent que la prolifération des conventions européennes entache la créativité. Allons, soyons sérieux ! 20 ans auparavant, il y avait une multitude clubs américains organisant sur leur sol de nombreuses conventions et les poupées étaient totalement différentes. Les dividendes de Mattel ne plongeaient pas pour autant. Je ne supporte pas cette idée d’un protectionnisme américain évident de tout coller sur les dos des européens. Il faut du courage et de la ténacité pour réunir des consommateurs d’un marché de niche. Et en passant, mes chers Mattel France, vous qui vous plaignez de ne pas identifier vos clients collectionneurs, ils sont là sous votre nez. Prenez la peine de louer un stand et de les rencontrer.

La salle des ventes est toujours aussi vaste et faute d’exposants, on peut maintenant circuler avec aisance dans de larges allées. Les créateurs sont en tête de gondole. Artist Creations ont un bel étalage de ravissantes barbies ooak mais malheureusement ne sachant pas ce qui m’attend cette année, je ne peux me permettre de gros coup de cœur. Fashion Doll Agency propose de splendides créations uniques dignes d’une galerie d’art. Corinne Thorner est fidèlement présente et j’adore sa petite Candice dans se style si pop et audacieux.

[slideshowck id=11893]

Candice – Créations Cotho

 

Être témoin du dressage en rang d’oignons de poupées Tonner, abandonnées dans leur nudité, me fait mal au cœur. Je tâcherai d’en faire revivre quelques unes à travers mes photos.

Alyce
Barbie Funtime

Il ne reste ensuite que des étals de vide-greniers ce qui me permet de retrouver avec nostalgie une Barbie Funtime en boîte, ma première poupée Barbie achetée par mon grand-père pour avoir bien travaillé en CE2. Je reste figée, perdue dans mes souvenirs. Regarder cette boîte, la toucher c’est repartir au temps révolu de l’insouciance. J’éprouve évidemment l’irrésistible besoin de raconter tout ceci au charmant et patient vendeur, sans lui acheter. Quelle ingratitude ! La nostalgie ne paie pas. Son stand est la dernière frontière avant le pays des reborns, cette contrée que je traverse les yeux mi-clos. Il y a pourtant là de la créativité et de la passion pour rendre les expressions enfantines mais le côté figé dans l’éternité me file le bourdon. Dans un autre style, je suis interpellée par ce singe en habits, j’ai l’impression qu’il rit de nous, humains avec passion en voie de disparition.

 

[slideshowck id=11900]

 

Au fond de la salle sont relégués les poupées et ours d’art. Des femmes entreprenantes créent de A à Z leur idole dans un style très personnel et original. Les sculptures sont en porcelaine froide ou en argile. Il y là un terreau fertile pour une production à grande échelle de poupées Made in France.

[slideshowck id=11910]

 

Je suis particulièrement touchée devant le travail d’une artiste présentant de très grandes poupées en porcelaine de Limoges. Il y a tant de talents à valoriser et nous nous enfonçons dans des sables mouvants économiques. Je n’imagine même pas aller démarcher une banque pour ce genre de projet. Cela ne rentre pas dans leur idéal de financement où l’entreprise ressemble plus à un open space immaculé genre Apple avec des hipsters se donnant des « high five » qu’à un atelier encombré de poussière et de vapeurs de solvants.

[slideshowck id=11916]

 

Le marasme est général. Ne sachant pas ce que ces prochains mois nous réservent, tout le monde a serré les cordons de la bourse, les exposants sont résignés. Moi-même, je ne me laisse pas tenter par une poupée d’artiste ou une simple silkstone Liz Taylor, je me démotive à chaque pas. Et là comme un petit miracle, est-ce un signe du ciel envoyé par mon défunt papa dont c’est le jour anniversaire ce dimanche, je découvre une Christie Malibu en boîte, prête à être remballée par la vendeuse. C’est LA poupée préférée de mon enfance. A l’heure des blondes Superstar aux yeux bleus, je convoitais l’audace d’une peau d’ébène aux cheveux noirs. Elle a tout vu cette Christie, m’a accompagnée aux quatre coins du monde. Quel joli clin d’œil.

 

Comme toujours lors de ce genre d’événement, on manque de temps. Pas eu le temps de prendre des photos et de parler plus longuement. Merci à Orlando, Philippe, Laurence, Christelle, Chanmis, Lydia et tous les autres d’avoir pris le temps de prendre de mes nouvelles et surtout à Annick pour sa compagnie.

C’est le cœur gros que je quitte mes amis car la prochaine convention ne sera pas avant la fin de l’année à Rome si tout va bien. Tout est subitement silencieux, pas d’éclats de voix de collectionneurs au bord de l’évanouissement, ensevelis sous des tonnes d’achats. Ça c’était autrefois.

Il est temps de prendre mon train de retour avant un petit crochet vers le Centre Pompidou pour une petite injection vitale d’art. J’adore ce mastodonte fait de viscères de métal et de plexiglas. Je me rappelle avoir pris le fameux escalator extérieur à l’époque de son ouverture. C’était totalement avant-gardiste et scandaleux. Je n’ai pas le temps de faire le tour des expositions permanentes aussi je me contente de la photographie. Une photo retiendra mon attention. Elle reflète tout à fait mon état de burn-out. Voilà comment je me sens actuellement, l’ombre de moi-même devant un espace autrefois occupé.

En sortant, je retrouve mon cher ami Monsieur Stress qui me fait la surprise à la station de métro Châtelet d’un détour par le RER pour rejoindre la gare. Panique à bord, j’ai pas le bond ticket, j’ai trop traîné devant les photos, je vais louper mon train. Je me rue vers la première sortie n’ayant aucune idée où je me trouve et cherche désespérément un taxi. J’ai failli faire un mort et me suis pris une belle engueulade en levant le bras brusquement devant une bobo à vélo sans lumières. Alors mets déjà un casque, ça te protégera des uppercuts bretons involontaires.

Centre Pompidou

Première fois de ma vie que je prends un taxi parisien. Je n’ai pas eu à subir le cliché véhiculé par les médias du parigot ventripotent sur son siège à boules. Le chauffeur était un sémillant jeune homme en voiture hybride. Entre Châtelet et Montparnasse, on a refait le monde et on s’est trouvé des affinités d’artisans écrasés par le système, lui se battant contre Uber et leur actionnaire, un certain Macron et moi et le rouleau-compresseur Amazon qui ne paye pas ses taxes en France. Pauvre France comme disait l’autre…

On m’a posé beaucoup la question de que va faire Tonner ? Je ne peux pas répondre, tout le monde semble vivre au jour le jour. Mais une chose est sûre, tant que nous faisons vivre nos poupées à travers nos passions, l’espoir est là et l’horizon clair.

En savoir plus sur les artistes :