Barbie et le toy bashing
Barbie fait encore les frais d’une nouvelle tendance outre-atlantique qui peut se définir comme du « toy bashing ». Des parents, bien pensants, lynchent certains jouets, principalement destinés à l’univers féminin.
La palme revient à Barbie, l’éternelle tête de turc des associations de parents. Sa ligne élancée est une véritable offense. L’argument coup de poing : « on ne peut pas vivre avec de telles mensurations ». L’image renvoyée par Barbie perturberait les petites filles jusque dans leur future vie de femme.
Avec dessins techniques à l’appui, on nous apprend que Barbie n’est pas humainement proportionnée, qu’une pré-ado américaine ressemble à un gnome en comparaison. Donc, si je comprends bien, le problème, c’est Barbie, produit manufacturé et pas les ados obèses, gavés de fast-food et de boissons sucrées. Que la jeunesse américaine et aussi européenne enfle d’année en année n’est pas alarmant, non, c’est la faute de Barbie.
Une mère concernée déclare : « 90 % des pré-ados de ma banlieue à Tucson, Arizona sont en sur-poids. Je pense que la plupart se stabiliseront à une taille 44 à l’age adulte. On est loin de Barbie. Et pourtant Mattel continue à fabriquer une silhouette fine, peut-être même sous-alimentée. Quelle mère offrira une Barbie à sa rondelette de fille soucieuse de son image ».
Ou encore : « Maintenant que je suis plus âgée, je pense qu’il est temps que Barbie prenne sa retraite. Barbie n’est pas un bon exemple pour nos filles ». Monica, 38 ans, a décidé de ne plus acheter de Barbie à sa fille de 6 ans : « Je suis peut-être dingue mais je ne peux pas cautionner une poupée dont les proportions sont l’exact reflet des images de la perfection d’un corps dont j’essaie d’éloigner ma fille, même si Barbie est célèbre mondialement et adoré par des millions de petites filles et leurs mamans ».
Il est à noté que ses propos sont publiés sur une plateforme de blogs détenue par un groupe médiatique appartenant à Disney (concurrent de Mattel).
Barbie n’est pas la seule en cause. On tire également à boulets rouges sur Bratz, poupée emblématique des années 2000 et enjeu d’une guerre médiatique et judiciaire avec Mattel.
Tamsin, 47 ans, mère de Kelly, a son mot à dire : « Les poupées Bratz avaient une très grosse tête et une garde-robe très bondage avec tout ce plastique et ces imprimés léopard. Ma fille a commencé à y jouer vers 8 ans. Le terme inapproprié est peut-être un peu fort mais je les trouvais carrément laides ». Néanmoins, Kelly est moins catégorique : « Ma mère ne nous a jamais acheté de Barbies car elles étaient supposées nous rendre anorexiques ».
Pourquoi se concentrer sur le trait du lip liner de Bratz quand Kim Kardashian exhibe son volumineux postérieur et ses seins de poupées gonflables dans des robes en latex ? Elle est là, la véritable influence sur les petites filles. Un bombardement d’images à longueur de journée, arrivant directement sur les smartphones. Un monde de lèvres repulpées artificiellement, de « contouring », de gommage d’imperfections, d’appâts corporels servant à pécher un mari richissime qui saurait prendre soin de vous à coups de carte platinium.
Une image travaillée qui d’ailleurs fait envie à ces mamans bientôt quarantenaires, assaillies par le bourrelet naissant et le culte de la jeunesse. Focaliser sur une longueur de jambe de Barbie ou le fait que la princesse Leia en tenue d’esclave enchainée à Jabba the Hutt donne une mauvaise image des femmes, est-ce là vraiment le combat ? L’image ? Ne sommes-nous que des caricatures de femmes ?
Enfant, j’ai eu ma première Barbie à 8 ans. On m’a laissé choisir un vêtement et parmi la large garde-robe de Barbie, j’ai choisi un ensemble denim de Ken ! C’était rouge, ça me plaisait bien, même si c’était trop grand et que les chaussures n’aillaient pas. Je me servais de Barbie pour projeter ma vie. Je n’ai jamais joué à la maman et au papa, je ne « me » mariais pas au prince charmant. Par contre Barbie explorait le monde et sautait en parachute pour moi et accessoirement dormait dans un seyant lit-boite à chaussures que je lui avais confectionné avec amour. Mais toutes ces valeurs, bases de ma personnalité, ont été données par mon éducation et mes parents. Jamais ma mère ne m’a dit, « soit une belle et mince et marie-toi, c’est ton destin ». Barbie n’a rien à voir avec l’estime de soi. Trop de gens oublient que Barbie est un jouet, un outil pour développer l’imaginaire.
Ces parents bien-pensants, ne pensent à rien justement. Le vide de leur vie est comblé de clichés numériques, de beauté pixelisée, de frustration médiatique. Qu’importe l’emballage, le contenant, tant que l’enfant invente et crée, il est suffisamment intelligent pour faire la différence entre le réel et l’imaginaire. Ne tuez pas ce dernier pour le plonger trop rapidement dans la future vie d’adulte.