Doll Limbo
Depuis des années, vous avez pu constater que je demeure très critique et inquiète quant à l’avenir du commerce de la poupée. En moins d’une décennie, ce milieu a dramatiquement changé.
Il est loin le temps où Ruth Handler alors directrice de Mattel exigeait que les résultats de ses commerciaux lui soient communiqués chaque semaine, non seulement le chiffre d’affaires mais aussi le ressenti des vendeurs face à leurs clients. Il y avait un rapport humain qui malheureusement a été balayé par les nouvelles technologies actuelles.
Je ne vais pas faire ma réac en scandant « c’était mieux dans l’ancien temps », mais je me dresse contre le fait que ces fabricants de jouets accrochés à leurs dividendes tentent de nous faire croire que l’on achète encore du rêve comme un enfant dans un magasin de quartier sentant bon le pain au chocolat et l’amour.
J’ai plutôt l’impression de réapprovisionner mes étagères dans une grande surface lugubre et froide. La poupée de collection est devenue un produit assouvissant un désir fulgurant et non plus un objet porteur de rêves et de créativité.
A qui la faute ?
Aux fabricants qui ont dénaturé l’essence de la collection. Cette profusion de gamme, de modèles, de nouveaux corps et têtes ne fait que masquer le vide de réflexion et de concept.
Cela me rappelle une expérience vécue lors d’un voyage.
A l’été 1978, mes parents nous emmènent mon frère et moi en vacances en Hongrie en pleine période de guerre froide et du mur de Berlin (mon père était un grand excentrique). J’ai 10 ans et je garde un souvenir vif de Budapest. L’ambiance y était très proche du film d’Hitchcock « Le Rideau Déchiré ». De larges artères urbaines vides de voitures et de gens. Des rideaux gris de crasse qui se lèvent au passage de touristes bien visibles dans leurs vêtements de l’Ouest. De rares langues qui se délient dans la crainte et la suspicion.
Pour nous faire marcher des kilomètres, mes parents nous soudoyaient avec des glaces ou des brimborions car les monuments aux morts soviétiques ne ne nous intéressaient guère.
En quête de souvenirs ou jouets à ramener, on atterrit dans un grand magasin, très art deco avec de magnifiques vitrines richement décorées d’artisanat local dont des jouets en bois. Vibrant d’excitation, nous voilà nous ruant sur les portes. L’intérieur est tout autre. Les rayons sont là et bien vides. Il y a une vitrine avec quatre jouets qui se battent en duel. Une première vendeuse nous explique en allemand qu’il n’y a plus de jouets en stock que tout a été vendu. Avec un charmant sourire, elle nous presse de parler à son chef qui a le même discours avec une courtoisie encore plus prononcée. Mes parents ont bien compris que ce sourire forcé masquait bien leur incapacité à produire quoi que ce soit, qu’il en était ainsi dans un pays communiste (ils avaient déjà expérimenté la chose lors d’un séjour à Berlin Est).
J’ai alors observé un défilé de vendeuses, peut-être 8 ou 10, parfaitement espacées d’un mètre les unes par rapport aux autres, derrière un magnifique comptoir en bois lustré et dorures rutilantes devant des vitrines somptueuses présentant un exemplaire unique de chaque article. Comme devant une chaîne de montage en usine, elles se chargeaient de prendre votre article, le refiler à leur collègue dans un ballet gracieux et toujours aimable. Une bonne demie-heure après, vous pouviez obtenir votre article emballé. Tout ceci, dans une atmosphère lourde et pesante. On les sentait surveillées, le chef étant à l’affût du moindre signe de subversion envers un touriste de l’Ouest.
L’attitude de nos chers fabricants de jouets est semblable. Trop occupés à gratifier leurs investisseurs de dividendes juteux, ils s’activent frénétiquement à décorer leur siège social de dorures clinquantes, à se redorer le blason à coups de campagnes publicitaires et d’opérations marketing, à « brainstormer« , à « think tanker« , à « pro-activer » pour trouver l’idée géniale du produit miracle et en poussant la porte, il n’y a rien de concret… Rien à vendre.
Pour réduire les coûts, les intermédiaires ont été supprimés. Pourquoi garder des revendeurs, ils prennent de la marge pour rien. Il suffit de monter une boutique en ligne directe avec le consommateur, d’y mettre les produits et ça se vendra tout seul, n’est-ce pas TonnerDirect, coupant l’herbe sous le pied de ses propres revendeurs pourtant fidèles mais jamais récompensés. Le client n’en a rien à faire de si c’est vendu avec un sourire ou un conseil ou même une bonne photo, « il veut sa came point barre » pensent-ils.
Cela a sûrement marché un temps, le temps de l’abondance et de la goinfrerie. Mais en ces périodes de crise où tout le monde compte ses sous en poche, il est judicieux d’avoir un conseil de professionnel. Et cessez de croire que l’acheteur est suffisamment bête pour gober n’importe quel bobard. Vous ne ferez pas passer une barbie de Noël 2016 en forme de vessie pour une lanterne de Reine des Neiges.
Mea culpa, j’ai longtemps cru que distiller ma passion à travers mes photos suffirait à apporter un peu de joie et de paillettes dans notre morne quotidien. Si vous, les fans, avez toujours la passion de la collection, sachez que les fabricants ont bien longtemps perdu le souffle. La crise a eu raison des esprits innovants et créatifs. S’est installée une morosité ambiante qui a parcouru toute la chaîne allant du créateur au revendeur puis au client. La foi s’est éteinte.
Mais comme dans tout système totalitaire qu’il soit communiste au capitaliste où l’on essaie de faire disparaître les croyances, celle-ci finira bien par revenir d’elle-même, j’en suis persuadée. En attendant que ce beau jour arrive, je m’en vais jouer les ermites quelque part, parmi les ours peut-être. Je continuerai à me focaliser sur la beauté et non les fruits fictifs d’un commerce perdu dans les limbes de la crise.
3 commentaires
Irene Cosson
Cécile, on ne pouvrit pas trouver de mots Meilleur que tu as emploiété. J’ai constaté grosso mode la même chose après un certain temps d’absence de la « scene ». Tout se ressemble. Il n’y a plus de recherche . Tout le monde copie tout le monde. Tout ce qui sort du lot (ou de « l’opinion public ») est ignoré ou rejeté. Bref, je regrette le temps oú Jason Wu était rien d’autre qu’un créateur de vêtements de poupée, Gianni et Mario faisaient des blagues à la con dans les chambres d’hôtel pendant les conventions et quand les robes de Barbies ooak étaient vraiment ooak, cousues avec amour et dévouement et non des ooak à la chaine.
Vive le bon temps! Je crois à fond au savoir faire francais unique au monde!
Marie Bertrand
Chère Miss Vinyl,
Je suis très touchée par votre billet, et en tant que collectionneuse, je ne peux que partager votre analyse. Nous sommes peut-être à la fin d’un cycle de production et de vente en ce qui concerne les poupées mannequins. Les produits proposés actuellement sont décevants, sans âme…mais la collection, comme la nature, ayant horreur du vide, j’espère que de nouveaux créateurs nous apporterons les poupées dont nous rêvons. Vous avez beaucoup fait pour les collectionneurs, en partageant votre passion, par vos billets réguliers toujours intéressants et bien informés. Une fidèle lectrice et collectionneuse en panne.
Marie Bertrand
Alex
Les fabricants de poupées pensent que les collectionneurs ou simples acheteurs lâcheront leurs billets juste pour assouvir une envie de poupées. Sauf qu’on n’est pas prêts à sacrifier notre porte-monnaie pour de la gnognotte. On veut du beau, on veut du rêve… Et quand on voit la dernière Barbie de Noël, on a envie de pleurer tant c’est moche, sans créativité, sans personnalité, sans qualité. Une bonne grosse daube à un prix édifiant ! En ce train là, les fabricants vont se retrouver sur la paille par leur faute.