Barbie in Holland 2014

Barbie in Holland 2014

Puki in Haarlem

Vendredi 7 Mars

Un ciel dégagé tout du long, une route peu encombrée de poids lourds, 890 kilomètres en une journée. J’ai forcément très mal au dos mais je suis ravie de mon pied à terre à Amsterdam. J’ai trouvé cet appartement de particulier à louer à la journée sur le net, la déco est contemporaine, je n’ai pas un tel luxe chez moi, je m’émerveille du frigo qui bip si on le laisse ouvert plus de 15 secondes, le rêve de tout phobique du microbe. Le quartier est calme, il faut juste s’habituer à ne pas se faire tailler un short par les cyclistes. Mais le parking ultra cher, 12,50 euros la nuit ! je ne vous parle même pas du jour ! Donc demain mission, parking en dehors de la ville puis tram jusqu’au centre.
Je suis dans un lit où on peut en mettre quatre comme moi, une chambre de 25m2, avec une bouteille de vin blanc en guise de cadeau d’arrivée ! Je me sens déjà glisser dans les bras de Morphée. Il le faut rapidement car demain ça va carburer des mollets !

Samedi 8 mars

Après avoir appréhendé difficilement les mystères des tramways et cherché vainement à comprendre une corrélation entre mon plan de tram et les sons gutturaux prononcés dans le haut parleur, me voilà dans le quartier des musées. La technologie fait corps avec les hollandais. J’ai l’impression qu’en France on se traine, on peut en prendre de la graine. Le titre de transport se bip à chaque montée et descente de tramway ou bus, les plans et horaires sont en direct sur les portables, tout le monde parle anglais même la petite mamie qui traine son caddie . Tout le monde consulte ses textos en conduisant sa bicyclette ! Et ici, les pédaleurs sont fous et prioritaires, l’équivalent du romain et de sa vespa, gare à vous si vous vous trouvez dans le mauvais couloir ! ou traversez la chaussée comme un escargot français.

Voilà 5 ans que je ne suis pas venue à Amsterdam et le quartier des musées a totalement changé. Le Rijksmuseum est maintenant ouvert en grand, tout est restauré, c’est immense. La visite en est prévue lundi. Pour l’instant, place à la flânerie sur les bords des fameux canaux. Des façades hautes en brique, peintes ou non, des fenêtres minuscules, ça n’en finit plus. Plus le propriétaire était aisé financièrement, plus la devanture est chargée, pas forcément en accord avec la rigueur protestante mais il n’y a qu’à l’église que ça ne rigolait pas. Dans les maisons, c’est autrement plus festif. D’ailleurs la maison Van Loon en est la preuve, des meubles Louis XV à gogo, du portrait, de l’or, des soies, tout ce qu’il faut pour brûler dans l’enfer de l’ostentation. La déco est du 18ème certes mais les portraits sont du siècle précédent ainsi que les médailles et les ivoires. On réalise la puissance commerciale de la Hollande, tout est importé de France en majorité.

D’après ce que je peux voir en marchant dans les rues, l’activité du week-end semble être le récurage de vélo. Des hommes en collant moulant et veste de survêt astiquent leurs bicyclette, il existe même des trépieds pour y poser le cadre, histoire que votre vélo ne roule pas jusqu’au canal. Il fait beau, il y a un peu de vent et la marche se fait toute seule (on en est qu’au début). Je me dirige vers le musée Hermitage Amsterdam, annexe de l’Ermitage russe. Dans l’ancien hospice, un musée tout neuf, une très belle scénographie faite de petites salles avec de la musique, et ça change tout ! Ça évite les conversations stupides – c’est vrai qu’on ne sait jamais quoi dire devant un chef d’œuvre, on se sent si médiocre de n’avoir aucun talent qu’on sort généralement des banalités, on renifle comme mon voisin, on parle comme dans son salon… bref la musique en musée adoucit la stupidité. L’expo est consacrée à Gauguin, Bonnard, Vuillard et tout le courant Nabis, je ne pouvais pas manquer cela. Les tableaux viennent de collection privées russes, rares amateurs des couleurs vives de ce courant. Beaucoup de travaux commissionnés par de riches russes, c’est poétique et naïf, comme courir dans un champs de fleurs avec une datcha au loin (c’est l’idée que je me fais de la Russie), un petit côté jovial à la Pouchkine. Il y a des toiles remarquables de Bonnard, des sculptures de Maillol, j’en suis toute guillerette même si je commence à sérieusement avoir mal aux pieds.

Puisqu’on est à une encablure de ponts de la Maison de Rembrandt… c’est parti ! Pour ma deuxième visite, évidement je ne suis pas aussi émue d’autant plus que c’est noir de monde, que la maison est petite et qu’il y a des ateliers-formations qui m’empêche de faire le tour de son atelier. Je boude… on me propose de faire une esquisse sur la principe de la gravure, je boude… j’ai des envies de VIP, virer tous ces moutards qui s’extasient devant une vessie de porc (ancêtre du tube de peinture) pour me retrouver seule à seule avec les bribes d’énergie créatrice que Rembrandt a pu laisser dans son atelier. Je me retrouve contrainte à m’exiler dans la pièce des eaux fortes, le nez collé à de minuscules gravures pour approcher le Maître. Il me parle bon sang ! je connais ce regard, j’ai l’impression de voir ce qu’il y a de plus pur en lui. Tout artiste laisse des messages secrets, des codes dans ses tableaux, une manière de se mettre à nu, cette initiation me transcende, je visite littéralement le maximum de musées pour cela, trouver le passage secret telle Alice vers l’âme du peintre. Comme si je ne connaissais pas assez de choses de Rembrandt, je trouve le moyen d’acquérir encore un énième livre ! et de devoir le trimballer toute la journée. Je vais me maudire d’ici quelques heures. Il est très incroyable de se retrouver dans la même pièce dans laquelle Rembrandt recevait ses clients, l’ancêtre du show-room en somme. Il n’avait pas d’intermédiaire et faisait lui même ses transactions, pas forcément de bonne manière puisque la banqueroute la surpris à la fin de sa vie. Talent immense pour une vie personnelle cruelle.

La promenade vous dirige naturellement au centre de la vieille ville, tout y mène et vous oblige à vous mêler à la foule compacte du samedi après-midi à savoir énormément de touristes américains, peu d’asiatiques bizarrement et des zyvas du 93 en goguette à la recherche de shit. Ça a le pantalon bien moule-boules, la petite parka bien ajustée et le cheveu gominé avec une démarche peu élégante de cowboy, les jambes bien écartées. On ne peut pas faire un mètre sans se prendre la reconnaissable fumée acre dans la tronche. Peut-être cela va-t il créer en moi des hallucinations comme voir Rembrandt au coin de la rue et lui sauter dans les bras telle une Saskia amoureuse, ben non… j’ai juste mal au pieds.

Je redescends les canaux pour rejoindre mon tram, cette foule me saoule, mes pieds me brûlent comme un fer rouge. C’est fou comme 5 petites années font la différence. Je n’ai plus du tout l’énergie de mes 40 ans, je me surprends à penser au lit confortable qui m’attend en rentrant !! Ah ces fumées de shit ont eu raison de moi et m’ont transformée en presque quinqua. Ce n’est plus possible ça, mon corps ne suit plus ma tête !

L’embêtant ici c’est que tout ouvre tard (10h) et ferme tôt (17h), tout ce temps à prévoir pour pédaler, sûrement. Moi je voudrais dormir dans un musée sous l’œil toujours présent d’un Maître, à jamais bercée par le génie créatif. Il n’est pourtant que 20h et je vais plonger avec délice dans mon nouveau bouquin, en anglais certes, mais plus facile à lire que la succession de voyelles qu’est cette langue hollandaise.

Demain, c’est quasi repos derrière le stand Miss Vinyl, mes pieds me diront merci avant le course finale vers les Rijksmuseum et le musée Van Gogh si j’ai le temps.

Dimanche 9 mars

Lever aux aurores afin de bénéficier d’un trafic wifi plus souple pour charger les photos sur le blog dans une quiétude absolue. Ce quartier est décidément très calme, à partir de 22 heures et ce jusqu’à 9h00, on n’entend absolument rien, ni voiture, ni chien. A 8h00, la rue est déserte, je ne croise même pas un joggeur ! A Rennes, ils courent déjà dans la rue à cette heure. Le Breton est-il plus véloce ? C’est vrai qu’il ne pédale pas comme un dératé pendant la journée…

La navigation sur l’autoroute étant fluide, on arrive à Haarlem en 15 minutes chrono. L’hôtel est une énorme bâtisse en périphérie de la ville. On est accueilli par deux charmantes personnes et escortées dès l’entrée jusqu’à nos tables par un monsieur se donnant la peine de parler quelques mots de français. La salle est vaste, moquette et miroir, les allées sont larges et les exposants bien répartis. Je me retrouve avec les seuls francophones à savoir Corinne Thorner et une dame et son mari venant de Belgique. La mise en place est rapide et cela me donne le temps de faire un tour. Ce qui ne faut jamais faire car vous commencez à dépenser l’argent que vous n’avez pas encore gagné !! Et la salle étant remplie de barbies, les tentations sont nombreuses !

Les premiers visiteurs arrivent. J’ai la joie de retrouver des clientes venues pour JamieShow. Cela me fait très plaisir de mettre un visage sur un nom et de discuter des habitudes de collection. L’affluence reste moyenne avec un pic vers midi. Il y a peu d’enfants, beaucoup de fans de barbie vintage. Je suis ravie de trouver quelques barbies des années 70 notamment des Christie, Julia, Curtis et Cara qu’on ne trouve que très rarement. Ce qui part le plus vite sont les accessoires comme les maisons vintage.
Il y a peu de silkstones, énormément de barbies de collection des années 90 qui ne se vendent même pas à 20 euros. Les budgets sont serrés, les gens achètent de petites choses.
Personne ne connaît la marque Tonner. Il y en a 6 qui se battent en duel et je peux avoir un prix si je prends tout ! Quelques Pullips qui ne remportent pas de grand succès. Les gens connaissent JamieShow mais pas du tout la nouvelle Gene. C’est quand même pro-Barbie.
Corinne a présenté ses magnifiques poupées Barbie inspirées de Game of Thrones. Les Ooak sont inconnues au bataillon. A croire que tout le monde s’est arrêté de collectionner après les années 70 !

Après des tours et détours, je finis par céder devant une Cara des années 70 dans une tenue complète. Je rêvais de cette poupée étant enfant mais on la trouvait difficilement, j’ai eu une Christie à la place. Comme je suis sur ma lancée, je me fais plaisir en m’offrant une Byron Lars. La bonne nouvelle, c’est que je reste dans une ligne de collection à savoir les Afro-américaines et que je ne m’éparpille pas (mais j’ai failli craquer pour un Elvis Presley). Le salon passe assez vite car il finit tôt (à 16 heures).

Trop tard pour visiter le musée Frans Hals (fermeture à 17 heures) mais suffisant pour rejoindre la côté et découvrir les plages du Nord à Zandvoort. Il faut traverser le centre de Haarlem, bordé de canaux et de maisons en briques tout comme à Amsterdam, longer des zones résidentielles pour tomber sur la côte. Des dunes à perte de vue, des parkings payants blindés. Les sorties dominicales sont familiales et cyclistes et ici les enfants ne portent pas de casque. Il faut dire que le temps est exceptionnel, il fait 12° et tout comme les Bretons, au moindre rayon de soleil, le néerlandais est en short et tshirt. Personnellement, je supporte très bien ma doudoune.
Le sable est très fin, ça me surprend, de couleur grisâtre. Les plages sont très larges et parsemées de coques et de couteaux qui craquent sous le talon. Les chiens caracolent, un relent de poisson frit atteint vos narines, la mer est calme et il y a cette lumière indéfinissable que l’on retrouve dans les peintures flamandes, un gris ouaté qui enveloppe toutes les autres couleurs et les subliment, une lumière de l’intérieur comme une foi profonde. J’aime décidément les pays nordiques plus que l’Italie, patrie de mes origines. Mon père aussi avait une passion pour ces pays de légendes forgés de contes mêlant fantastique et nature. J’aime les longues promenades sur la plage, le bruit lancinant du ressac, l’air iodé. Un vrai ermite ! Il me faut cela pour me ressourcer, pour déconnecter. Quand je fouillais les bacs de barbies quelques heures plus tôt, je réalisais la variété des modèles, le gigantisme de la production, la profusion de plastique. Et plus personne n’en veut… Que c’est triste la vie d’un produit manufacturé.

Le soleil plonge dans la mer et je fais un voyage dans le temps. Je me retrouve à 5 ans, sur une plage de Madagascar confrontée à mon premier souvenir d’être humain pensant… cette boule rouge énorme disparaissant à l’horizon et mon petit cerveau tout juste éclos se demandant où peut bien aller ce soleil, va t-il se noyer ? Ce spectacle pourtant banal m’émerveille comme au premier jour.

Ce qui m’émerveille moins, c’est les heures de bouchons pour rentrer à Amsterdam ! Cela donne le temps de contempler avec horreur le bétonnage peu élégant de la côte, certes moins intensif qu’en France mais d’une rigueur toute protestante : des cubes pour y mettre des gens, point à la ligne. Le tout égayé par quelques barraques non pas à frites mais à poisson frit ou hareng mariné. Et c’est une tradition, les locaux prennent plaisir à se rassasier de barquettes grasses croulant sous la mayonnaise.

Il est 19h00, je suis de retour et voilà une heure que je tourne dans le quartier. Se garer est un enfer. Paris en comparaison est une balade de santé. Le système de paiement est du racket à plus de 3 euros l’heure ! Je suis obligée de faire un créneau de la mort, je suis prête à défoncer tous les parechocs de la terre tellement j’en ai marre de tourner ! Je n’ai même pas le courage de regarder mes poupées de près… Je ne souhaite que rejoindre Rembrandt dans mon livre et dans mes rêves. Est-ce cela vivre d’amour et d’eau fraîche ou de chefs d’oeuvre et d’air iodé ?

Lundi 10 mars

J’ai super mal dormi car je me suis enfilée une demi bouteille de vin blanc élégamment offerte par la propriétaire des lieux ! Mes jambes étaient déjà prêtes pour le marathon qui allait m’attendre : affronter le Rijksmuseum,  totalement rénové et repensé.

Et bien repensé : les époques sont divisées par étage. Et bien entendu on commence par l’Age d’Or. Les larges salles sont divisées en petits espaces avec des banquettes partout, des notices d’explication et un éclairage proche du naturel. C’est un rêve de musée. La circulation est fluide et on peut même prendre des photos.

Le premier tableau qui vous attend est un portrait de Frans Hals, la tension monte, l’incrédulité me gagne, ce sont mes yeux qui sont témoins d’un tel chef d’œuvre. Au deuxième espace, le fameux Syndrome de Stendhal m’envahit ! et pourtant j’avais décidé de maîtriser mes émotions. Mais c’est plus fort que tout. A la vue d’un tableau de Veermer « La Ruelle », je sens le frisson partir des orteils, les poils se dresser sur les avant-bras et une irrépressible envie de pleurer vous submerge et les larmes jaillissent, sans rien pouvoir contrôler, mon nez coule. Vite un mouchoir, tout le monde me regarde. Seul le gardien semble comprendre, il a dû être témoin du phénomène. Je ne m’attendais pas à être émue par un paysage mais plutôt par un auto-portrait de Rembrandt. Le fait d’avoir visité des maisons avant-hier facilite l’empathie. La technique de Veermer est bouleversante de réalisme et les attitudes des personnages sont saisies sur le vif, une vraie « photographie » de l’époque. L’espace suivant est consacré à Rembrandt et on devine le côté non conventionnel de sa personnalité, peut-être est-il un genre de punk pour son époque, une façon de dire merde à la peinture académique avec ses fonds pas trop finis, des coups nerveux de couteau à palette et ses contours flous. La salle principale est celle de l’immense oeuvre « La Ronde de Nuit« . Tout est fait pour que vous passiez de longues minutes à étudier l’œuvre.

L'objet du Syndrome de Stendhal
L’objet du Syndrome de Stendhal

Les salles attenantes répertorient chronologiquement les périodes de l’art hollandais en mêlant tableaux et objets. Je trouve cela fantastique. D’habitude, les arts décoratifs sont toujours à part. Là, ils sont partie intégrante de l’histoire. On se met d’autant plus facilement dans l’ambiance de l’époque. Que d’or, de commerce, de production des Indes, c’est enivrant.

Le premier étage répertorie les arts du 18ème jusqu’au 20ème siècle avec du Van Gogh (prononcez Vane Rorr) et même un Whistler qui n’est pourtant pas originaire du coin.

On y découvre aussi une immense salle consacrée aux maquettes de bateaux, puis une sur les armes et de canons et à une fantastique collection de maisons de poupées présentées dans des meubles gigantesques, il faut mettre monter un petit escalier pour admirer la totalité de l’ensemble. Les miniature en argent sont saisissantes de ciselures et de raffinement.

Le troisième étage sous les toits est consacré à l’art moderne, il y en a très peu, ça va de l’art nouveau au conceptuel en passant par une petite salle très émouvante avec juste trois objets, un album de famille inachevé s’arrêtant aux clichés insouciants d’un fillette de neuf ans sur son vélo, à une veste rayée de camp de concentration, sa veste jusqu’à un échiquier nazi d’une vulgarité extrême puisque le plateau affiche les noms des pays envahis et les pièces représentent des chars, avions et fantassins.

Cela fait 6 heures que je tourne, je ne suis plus que douleurs de pieds mais je retourne voir Vermeer et Rembrandt. Je ne veux pas le quitter. Je suis ravie de ma journée en apnée artistique. Ce musée est comparable au Louvre pour la muséographie et on ne s’y perd pas malgré deux ailes bien distinctes.

C'est moi qui l'ai fait !
C’est moi qui l’ai fait !

Dehors, le vent est un peu frais mais le soleil toujours présent. Pas le courage de marcher un peu plus, je me traine dans une librairie à la recherche d’ouvrages d’art. N’en pouvant plus je m’écroule dans le tram.

I amsterdam
I amsterdam

Demain, il faut partir tôt pour rejoindre la Bretagne. C’est vraiment à regrets que je quitte cette atmosphère si chaleureuse et paisible.

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