La larme du souvenir
Ceci n’a rien à voir avec le monde de la poupée mais vous concerne toutes et tous. Le souvenir… d’une vie qui chemine lentement pour s’évanouir à jamais comme une larme. La larme de ce vieux monsieur arrivé cet après-midi dans ma cour de ferme.
Accompagné de son auxiliaire de vie, ce noble octogénaire, casquette vissée et chemise à carreaux, baisse la vitre et me tense un très sonore “ça va bien !” comme si l’on se connaissait de longue date. Il voit bien que je ne suis pas “l’anglaise” la précédente propriétaire créant automatiquement une intimité car ici on aime pas trop ceux qui habitent de l’autre côté de “notre” Manche.
A peine, ai-je eu le temps de m’étonner qu’il me déroule l’histoire de sa vie, ici dans ce fond de hameau entouré de champs. Il travaillait la terre et habitait la petite masure en face, celle transformée en gîte par mon voisin à grands coups de parpaings et d’ouverture en pvc.
Chez moi, avant, c’était une ferme. Il y a travaillé avec le propriétaire. Il y a avait 17 vaches, des chevaux, des cochons, un cellier à cidre et une laiterie. Une vie en autarcie, simple et rude.
Malgré la conversation enjouée et vive, je vois la larme de la nostalgie rouler du coin de son œil et s’évanouir sur la couture du masque. Ce n’est pas de la tristesse, juste le temps passé… en un clin d’œil. Il est venu dire adieu à sa vie passée. Un autre voyage l’attend, il en a conscience. Son quotidien est désormais entre quatre murs d’un ehpad et il a voulu revoir le temps d’avant ce fichu virus quand à l’air libre, on travaillait la terre, on aimait, on partageait.
Je lui ai assuré qu’ici, mon mari et moi allions faire vivre ce patrimoine, ce temps des choses lentes, des gestes pensés, du rythme de la Terre, des pierres centenaires.
A la fin de sa vie, j’ai souvent vu mon père pleurer ainsi, sans manifestation de tristesse ou d’émotion incontrôlable, comme ça, au milieu d’une conversation anodine. D’une extrême pudeur, il prétendait qu’un corps étranger troublait sa vision. Mais je savais bien que “l’étranger” était ce souvenir fugace et intense de l’enfance, de la maman perdue, de ce temps qui est passé bien trop vite.