Valensole 2016
Lundi 04 Juillet 2016
J’ai beau avoir fait le tour du monde dans tous les sens, la France reste, pour moi, un territoire mystérieux plutôt synonyme d’ennui et de banalité.
Or, j’ai eu la surprise d’être profondément déphasée et interpellée par des habitudes locales dignes de la Polynésie et de paysages aussi grandioses que le Grand Canyon.
Mes points de chute le plus au sud ont été Toulouse et Perpignan. Première fois à Marseille où ne retentissaient pas les « peuchère » et autres accents chantants vu qu’il était près de minuit et que même le cliquetis du tapis à bagages n’était même pas là pour faire concurrence au chant des cigales !
Les amis venant me chercher étaient retardés par des travaux sur l’autoroute. Ce n’était que le prémisse de cet étrange voyage vers le trou noir provençal dont je parlerai plus tard.
Très impatiente de voir la région, je n’ai pu découvrir que les abords de la centrale nucléaire Cadarache, le cliquetis des grillons avant de deviner les contours du village de Valensole.
Mardi 05 Juillet
Ce n’est qu’au petit matin après une nuit sans sommeil que j’ai pu apprécier les couleurs pêche et mauve des environs. Le village perché se découpe en mosaïques de maisons colorées aux volets fermés. A ma droite, des chants de lavande bien évidement. Je loge en chambre d’hôte dans une maison calme. Mes voisins sont suisses et peu bavards.
Très impatiente, je presse mes amis de me lâcher dans les champs de lavande. Rien de pareil n’existe, cette couleur violette proche du noir qui se répand en rangs dociles et maîtrises. Vient ce parfum frais, la chaleur réverbérée par le sol rouge, le bourdonnement des abeilles. Un paradis à ciel ouvert.
La chaleur est cuisante mais cela ne décourage pas les armadas de touristes chinois, toujours groupés, emmaillotés dans des voiles pour mesdames, en bob pour les messieurs. Il paraît que la lavande est un porte-bonheur en Chine. Donc, il est de bon ton de prendre des poses mignonnes et innocentes à la Hello Kitty ou d’exprimer sa joie en sautant le plus haut possible. Le bonheur provençal fait recette en Chine, c’est bien là l’une des seules choses que l’on exporte.
L’attraction locale est aussi ce « monument » à la mémoire de la rencontre d’un paysan et d’un ovni en 1965. Les « petits gris » offrant un contraste saisissant avec le violet des lavandes. Bien évidement, pas de panneau explicatif si bien que cette modeste soucoupe volante pourrait passer pour une installation d’art contemporain à la Jeff Koons !
Je conçois les vacances comme un marathon sans fin, je sais, je suis obligée de me reposer après mon burn-out, en voir le maximum me paraît un bon remède. Mes amis vont en faire les frais, les pauvres.
Direction, Moustiers Ste-Marie, village perché à flanc de falaises. Ce qui est appréciable c’est que tout n’est pas défiguré par l’attrait touristique. Des bedonnants en short est la pire offense que vous verrez. Point de Mc Do ou de Starbucks, ce n’est pas encore Disneyland. Tout reste dans son jus. Les boutiques vendent encore de la faïence de Moustiers et pas des brimborions made in China.
Plusieurs chemins de randonnée mènent à l’Église, il faut de bonnes chaussures car les cailloux sont usés et glissants par endroits. Ne pas avoir le vertige non plus, on ne peut pas se croiser à 20 sur ces chemins de 50 cm de large. Prendre de la hauteur c’est embrasser la vallée, se dire que ces toits de tuile sont les mêmes depuis l’antiquité romaine et apercevoir le lac bleu azur de Sainte Croix. Le dépaysement est total par la grandeur des horizons, un peu comme au Canada, votre vision se pose à des dizaines de kilomètres, là-bas sur les montagnes.
Il est près de 20h et le jour baisse à peine. Boire un apéro sous la caresse d’un vent chaud et manger en terrasse est un luxe pour nous Bretons frigorifiés en Juillet. Je découvre les tomates provençales, les pâtés du boucher, passer plus d’une heure à table, bref un autre monde.
Mercredi 6 Juillet
Le lendemain, à 7h00, je suis d’attaque. Je serai pourtant partante pour une petite balade dans les champs derrière la chambre d’hôte, des chemins caillouteux se jettent dans le violet. Je pourrais redescendre aussi vers le village par une route tortueuse sans signalétique. Mais j’ai eu le temps d’observer les coutumes véhiculaires du coin à savoir braquer je ne sais pas à quoi ça sert et je roule au milieu de la route comme ça je ne suis pas emmerdé. Tout ceci dans un calme olympien, sans énervement ni klaxon. A Rennes, avec ce style de conduite, on aurait déjà démonté la gueule de tout le monde.
Je vais donc visiter le marché car un de mes amis y travaille. C’est le marché des saveurs et des artisans-producteurs vendent leur production d’huile d’olive, de miel, de fromages et bien évidement d’huile essentielle de lavande. Beaucoup de touristes, des chinois, des russes, des néerlandais. Les prix sont chers, plus chers qu’en Bretagne même pour des produits dits locaux comme les abricots. Mais tout ceci se passe dans une ambiance bon enfant et simple. Je pars faire un tour dans les rues du village perché de Valensole. J’adore traîner le nez en l’air. Le village qui compte 3000 habitants se meurt. Pourtant, l’affût de touristes est omniprésent en cette période de récolte des lavandes. Les maisons ayant toutes leurs volets fermés à cause de la chaleur, on ne distingue leur état de délabrement et d’abandon qu’à la peinture fanée ou effacée des portes ou au crépis qui tombe par plaques et laisse apparaître la maçonnerie faite de galets empilés et collés au mortier.
Il y a pourtant de belles demeures, oubliées. Ça me rappelle un peu l’Anjou et ces villes de mon enfance comme Saumur, très actives autrefois, véritable terrains de jeu devenues cimetières. La chaleur est tellement présente qu’il n’y a même pas un chat en sieste ou une mamie à reluquer les passants derrière sa fenêtre.
La fontaine, pièce centrale du bourg, fait figure de carte postale à la Pagnol. Les cyclistes du dimanche viennent s’y désaltérer alors que les non-sportifs boivent le pastis au bar « L’Oriental » à sa décoration farouchement vintage mais ce n’est pas voulu.
C’est cette passivité provençale qui me fait penser à la Polynésie. Les Tahitiens ont une expression pour expliquer cette état fataliste, cet tristesse des Tropiques, ils sont « fiu », ils pourraient le faire mais à quoi bon si c’est bien comme ça.
Il n’y a pas d’autre mot pour dire que je fais chier mon ami Sébastien pour qu’il m’emmène au Musée Alexandra David-Néel à Dignes-les-Bains plus au nord de Valensole. C’est à partir de ce moment que je vais découvrir l’étrange voyage vers les trous noirs provençaux.
Je réalise avec stupeur que parcourir 20 km en pays provençal équivaut à 150 chez nous. (Et il m’arrive d’en faire 600 sans m’en rendre compte aux Usa). De part la sinuosité des routes, la chaleur, tout paraît plus loin voir inatteignable. Il me paraît normal de faire deux heures de route pour voir la mer. Ici c’est une expédition digne d’une Alexandra David-Néel justement. Elle a bien choisi son coin pour prendre sa retraite à 77 ans.
Je suis une fan de cette aventurière, écrivaine, première femme à être entrée au Tibet en 1924 à 50 ans. Sa vie est un roman et une belle leçon de résistance. Visiter sa maison où elle a écrit ses ouvrages à la fin de sa vie est comme faire un pèlerinage. Dommage qu’il soit interdit de prendre des photos. La visite commence par une salle d’exposition de photos prises par l’exploratrice et de poupées faites par des moines tibétains relatant les épisodes de la vie courante comme le marché, la vie sous la tente, les danses. Tout ceci dans une ambiance reposante de temple bouddhiste et de parfum d’encens.
Puis on vous montre un film de 20 minutes relatant son extraordinaire chemin de vie puis un tour de salle des principaux objets bouddhistes dont les moulins à prière ou les Mandalas. Je suis fascinée par les colliers en os humains. Ça peut paraître barbare mais ça fait partie du cycle de la vie et du renouveau. Votre dépouille est laissée à l’air, vos organes sont donnés aux bêtes sauvages, vos os récupérés pour en faire des objets sacrés. Quelle belle fin !
La visite se termine par la maison de l’écrivaine, où vit encore sa secrétaire particulière et quelques moines tibétains en résidence. L’entrée recèle de trésors ! Ses objets personnels disposés comme des reliques. Ses malles, sacs, carnets, lettres, objets offerts par des rois, nombreux appareils photos, petit revolver, pièces d’argent et son fameux bonnet crasseux trouvé aux abords de Lhassa qui lui a permis de passer pour une mendiante et de rentrer en douce. Il est là à quelques centimètres de moi, ce truc oublié en 1924 au bord d’une route par un paysan. Je suis subjuguée d’un tel raccourci temporel.
Son salon est un bric à brac d’objets tibétains et hindous sur fond sonore de musique sacrée, les sons sourds et graves des cornes tibétaines vous prennent aux tripes. Un étroit escalier vous mène au bureau d’Alexandra dont les murs vibrent d’un bleu turquoise et de quelques panneaux découpés de papier peint très féminin et romantique à motifs de roses anglaises. Des bibliothèques occupent les murs, une large table aux pieds massifs barre la pièce, elle servait à empiler manuscrits et livres de référence, au bout se situe la table de la secrétaire et de sa machine à écrire mécanique. Alexandra se lovait dans son célèbre fauteuil en osier penchée sur sa petite table de camping à lire ses notes à la loupe. Elle avait 100 ans et était toujours aussi alerte. Je ne peux m’empêcher de toucher de l’index, en cachette, sa petite table de camping tel un cannibale moral voulant gagner un peu de son génie. On découvre sa toute petite chambre, ascétique forcément, avec une banquette et sa couverture tibétaine et un fauteuil où elle dormait assise. L’abat jour confectionné en papier kraft atteste de l’esprit d’économie et de recyclage propre à la philosophie bouddhiste. Je suis tellement électrisée que je pourrais m’évanouir. Mon cerveau est à la fête. Je m’imprègne littéralement de tout ce que je vois.
Nous ne sommes pas loin de Sisteron, ville citadelle qui vaut le détour. A une heure de la fermeture, nous avons le temps de grimper encore des dizaines de marche. La citadelle où l’on tournerait bien un épisode de Game of Thrones a le mérite d’offrir une vue imprenable sur la vallée et les massifs rocheux compilés en strates serrées. Le vent nous emporte à chaque pas. Il y a peu de visiteurs. De jeunes parents promènent leurs enfants, en leur expliquant l’emploi des meurtrières, ouf ! Ça existe encore ! La culture n’est pas perdue. Très attentive, la petite fille demandera sérieusement à sa grand-mère « Et il y avait des princesses dans le château ? »Seigneur ! j’espère que non ! elle se serait jetée d’ennui du haut des chemins de garde !
Le soir venu, il reste un peu d’énergie pour se traîner à Gréoux-les-Bains, prendre un verre en terrasse. Il s’agit principalement d’une station thermale et il y a un château sur une butte comme dans la plupart du coin. C’est illuminé et je veux aller voir bien évidement. Nous arpentons les petites rues et des passages si étroits qu’une seule personne passe. Tout ça dans une quasi-obscurité parfois à la lueur du smartphone. Je sais « J’ai oune graine dans le cerveau » comme me le dit mon ami italien avec l’accent.
Les églises et places sont joliment décorées. Il est près de 11h et tout ferme. Quelques adolescents rient bêtement en se poussant tout aussi bêtement, certains assis en groupe sont rivés à leur portable.
Au moins, la récompense d’une bière et d’une glace en terrasse est très appréciée sous les marronniers. Le serveur, jeune me semble être déjà bien bourré, la bière est fraîche, la glace généreusement parsemée de chantilly. Les clients sont divertis par l’écran géant et le match Portugal quelque chose. A la table derrière-moi, j’observe ce gros monsieur avec trop d’or au cou et aux poignets ne pas lâcher son téléphone portable pendant une bonne demi-heure, à ses côtés madame toute aussi enrobée et bijoutée regarde ses ongles parfaitement manucurés. C’est dans ces moments là que j’apprécie le célibat.
Jeudi 7 Juillet
Aujourd’hui c’est le grand jour, les gorges du Verdon. J’imagine ça un peu comme les canyons américains, des routes balisées et on fait un grand tour dans la journée. Il faut que j’atterrisse, c’est la France ici ! Départ de bonne heure vers le lac de Ste Croix, ce bleu azur si artificiel car c’est un lac de rétention vaut quand même le détour. La route va traverser un plateau de lavande et de tournesols avec le lac en arrière-plan avant de se tortiller en épingles à cheveux jusqu’à de jolis points de vue et des cafés à flancs de collines où un petit café serré est le bienvenu.
Direction Les Salles, village aux abords de nombreux campings où se pressent les vacanciers rougeauds. Je ne regrette pas ce temps des tentes humides et des douches rares. J’ai donné pendant mon enfance. Le fait de rester accrochée à un espace confiné me file des boutons. J’ai besoin de liberté.
C’est jour de marché, beaucoup de produits artisanaux et de prix exorbitants. Je tombe sur une marchande de gâteaux secs et je ne peux résister au parfum de la fleur d’oranger, d’anis et de romarin. Un petit assortiment dont des macarons à la lavande, peu ragoutants niveau couleur mais délicieux gustativement.
Il est midi, nous cherchons à nous restaurer et je crise… des hambugers, des pizzas. Nous nous rabattons sur un sandwich jambon beurre dont le mérite est que le pain est fait maison et bon. Un petit café plus tard et nous sommes d’attaque pour La Pallud et le bien nommé chemin des crêtes. Assez rapidement, les pentes deviennent raides, les points de vue en bord de route à la sauvage sont à flanc de ravins. Il faut une bonne voiture et une vigilance extrême. Surtout quand un groupe de jeunes anglais torse-poil, en tongs et en short se pointe dans les parages.
Le paysage est saisissant, c’est à peine si l’on distingue les flots en contre-bas, on les prend pour des ruisseaux à vue de nez, ce sont des torrents rugissants. J’aime profondément ce spectacle millénaire, j’aime voir la terre originelle se contraindre en mouvements figés pour l’éternité, la violence et la puissance du monde, tout ceci sous vos yeux. Cela vous remet en place, vous l’humain, poussière d’étoile, présent dans cet univers pendant un millième de seconde. Vous et vos petits os craquants et cette masse monstrueuse. Dans ces moments là, il me vient toujours à l’esprit de me fondre dans l’univers, de faire corps avec cette terre ou de disparaître dans le vide, une union cosmique en quelque sorte. A mon ami, je dis que voir ces montagnes vieilles de millions d’années c’est comme voir le visage de Dieu, ce à quoi il me répond avec son accent « mais tou a vrrrraiment oune graine dans la tête ».
La chaleur est au plus haut, une brume se soulève difficilement des vallées, l’air est pourtant présent et nous offre le spectacle merveilleux de vautours tournoyant et parcourant des centaines de mètres sans battre une seule fois les ailes. Je tente d’immortaliser l’instant mais mon smartphone ne répond plus, il se fige, il fait trop chaud. Le monde moderne capitule, c’est à ce moment là que les vitres électriques de la voiture décident de ne plus fonctionner… en position fermée !
Chaque point de vue nous permet de voir les routes sinueuses de l’autre côté de la vallée, la désolation des lieux. Il ne fait pas bon se perdre dans de telles contrées. Au pire, je subirai le destin tibétain de me faire dévorer par les vautours du Verdon. La nature trouve toujours son chemin n’est-ce pas ?
C’est à regret que je quitte ce coin et je n’en ai vu l’embouchure des gorges. Je pense revenir et emprunter les nombreux chemins de randonnées au milieu des escarpements de pins.
Il est l’heure de reprendre la route vers Valensole. Mon ami me fait visiter les coins de son enfance, des chapelles perdues au fond des bois, toujours en activité, la version off des champs de lavande où les exploitants commencent à récolter dans un vent fort chargé d’essences. Les blés sont murs et dodelinent de leurs tiges graciles pour une dernière danse, les moissonneuses batteuses sont en action. Point de chinois dans ces collines reculées, le temps est encore ici en suspend.
Pour marquer notre dernière soirée, nous nous attablons à la terrasse de l’unique resto de la place du village de Valensole pour une pizza rassasiante. La bière est toujours fraîche, on suit d’un œil le match France quelque chose. Au retentissement des hourras, on sait que les choses se passent pour le mieux. Et comme Valensole est un petit village, en fin de match, on verra un fier et solitaire automobiliste klaxonner à tue-tête et son copain brandir le drapeau tricolore. Point de farandole, la victoire est réservée. Tout le monde dort déjà.
Je garderai de ces quelques jours le souffle chaud du mistral transportant les effluves de lavande, ce violet sombre contrastant avec la blondeur virginale des blés et la patience sans fin de mes amis.