Pompéi 2018 – Cinquanta

 

On dit  » Voir Naples et mourir « 

De crainte très certainement à  la vue du Vésuve, masse d’autant plus impressionnante que sa silhouette se découpe dans le crépuscule, le monstre semble si proche.

De rage, quand le chauffeur de taxi vous la joue « Cosette » en essayant de grappiller quelques euros supplémentaires pour avoir mis vos bagages dans le coffre.

De peur, en arpentant des ruelles de cinéma, étroites et sombres aux allures de coupe-gorge. On en vient à apprécier l’arrivée pétaradante d’un scooter près à vous tailler un short.

Enfin, d’incrédulité quand à peine arrivée dans la chambre d’hôte, une bagarre éclate sous mon balcon. Ça commence par deux belligérants puis tout le quartier sort de l’ombre, les chiens, les vespas… Bienvenue à  Naples.

Une fine pluie fait luire les pavés noirs de basalte, les pizzaïolos font une pause clope tout de blanc et de farine vêtus. J’ai déjà  la tête farcie du volume sonore du brouhaha de la trattoria où je me régale d’une pizza. Le quartier est populaire, les hommes sont attablés, les cuisses écartées, le survêt et la chaîne en or en évidence, le cheveu noir luisant et la barbe taillée finement. Ils regardent le « calcio » sur écran géant, le foot étant une religion ici. Les serveuses semblent se souvenir qu’ils faut bosser entre deux checks de portable. Au dehors, dans l’obscurité, les églises de dressent dignes mais tristes comme de vieilles dames abandonnées. Les gens ont bâché le linge qui sèche traditionnellement aux balcons. Dans ces ruelles sombres et encombrées, avec un peu d’imagination, vous avez un aperçu de ce qu’à pu être une ville antique.

 

Je découvre pour la première fois cette ville. Après-demain, je fêterai mon demi siècle d’existence sur cette planète et je réaliserai un vieux rêve de passable élève de latin mais de passionnée d’histoire romaine.

Mardi 27 novembre

Courte nuit entrecoupée de bruits de déchargement, de plaques qui chutent et dans ma demi conscience, je me surprends à penser à une explosion volcanique. Pour les novices, le volcan est une menace, pour les Napolitains ? le remarquent-ils encore tant le chaos est omniprésent. Le volume vocal est hallucinant. Ça change de la Bretagne où la moindre émotion se caractérise tout au plus par un haussement de sourcil ! Le napolitain hurle au téléphone, sur son chien, sa femme, l’automobiliste qui croise le motard, le type dans le micro à la gare. Une fois passé le stress auditif, vous devez affronter la suffocation. J’ai du respirer 3m³ de diesel dans la journée. La pollution est inimaginable ! Vous sentez littéralement les vapeurs d’essence vous monter aux narines et piquer la gorge. Et nous sommes en hiver à 12° ! Imaginez le tableau en été.

Sortir à pied du quartier Spaccanapoli où se trouve mon B&B pour rejoindre la gare centrale est un trajet d’un kilomètre à vos risques et périls. Pas de trottoirs surélevés, il faut slalomer entre les scooters et les poubelles puantes. Que cette ville est sale et décatie. L’architecture anarchique ne fait que l’enlaidir encore plus. On dirait une ville du tiers-monde. Ici, le respect de l’environnement est une vaste blague ! Des climatiseurs à chaque fenêtre, des bus au diesel, aucune voiture électrique, encore moins de vélos (ce serait du suicide). La rigueur du nord de l’Europe paierait-elle pour le laxisme du sud ?

 

Direction la gare centrale pour un départ pour Herculanum, ville engloutie par une torrent de boue et de cendres lors de l’éruption du Vésuve. Le train Circumvesuvio, vieux machin qui grince vous traîne de banlieue en banlieue, jusqu’à l’arrêt Ercolano Scavi et vous permet d’admirer en chemin, avec une grande part d’épouvante, le panorama de décharge à ciel ouvert. Des voitures abandonnées, des détritus à n’en plus finir, des bâtiments si vétustes qu’on les croit sortis d’un Sarajevo en guerre. Du coup, l’arrêt vous parait presque bucolique et pittoresque avec ses graffitis colorés. Aucune information n’est faite pour le touriste, démerdez-vous les fans de l’Histoire. Derrière vous, le Vésuve vous domine de sa masse noire en ce matin froid et humide, il accroche même crânement quelques nuages à son col. Je l’imagine rire, ce fils de Vulcain, il vaincra de toute façon cette marée d’imbéciles que sont les humains.

 

Il faut descendre une large rue où les immeubles d’un style incertain côtoient des ruines post-guerre, c’est moche à pleurer. Au loin vous voyez la mer et d’énormes porte-containers se détachant sur l’horizon. Partout où vous porter les yeux, vous avez l’impression d’être dans les premiers films d’Ettore Scola.

S’il n’y avait pas cette porte rose saumon écaillée, on remarquerait à peine le site archéologique. Passée la porte et une poignée de mecs qui semblent faire des travaux de rénovation, une longue rampe pour permet de surplomber les fouilles. A droite, des quartiers excavés, à gauche d’autres en devenir rongés par la végétation. La ville nouvelle s’est construite sur les cendres de l’ancienne .

 

Vous rentrez dans ces quartiers comme aurait pu le faire n’importe quel citoyen romain. Les rues sont intactes, les fondations très présentes, les peintures encore visibles dans ces villégiatures de riches patriciens. La présence par endroits de bois calcinés vous rappelle la violence du drame.

 

Ce qui frappe justement c’est la superficie des maisons, plafonds hauts et larges pièces. Les termes féminins sont assez spectaculaires avec leur mosaïques en très bon état. Je suis toujours bluffée par la modernité de cette civilisation. Cette ville de villégiature devait être un petit paradis. Les maisons donnaient directement sur la mer.

 

La visite se termine par une vision bien lugubre. L’exposition d’ossements des victimes ayant tenté de s’échapper par le port. Les derniers instants sont figés dans des attitudes de protection. 300 corps ont été retrouvés, entassés dans les entrepôts portuaires, crispés dans un dernier souffle, anéantis par les nuées ardentes. Près de 2000 ans nous séparent de ces pauvres gens mais vous réalisez en une demi seconde la brièveté de l’existence. La vue des squelettes d’enfants est particulièrement difficile.

 

Le site archéologique a la particularité d’être coincé dans la ville et enlaidi par la présence proche de bâtiments relativement ordinaires entre linge qui sèche, chaises en plastique et climatiseurs. Peu d’informations disponibles au centre d’informations. La ville ne semble avoir aucun intérêt à favoriser le tourisme ou du moins à prendre le train en marche. Tout au plus, des serveuses de restaurant vous interpellent sur le trottoir en faisant claper leur carte des menus, ça a un petit côté « otarie de cirque« .

Le soleil apparaît par petits clins d’yeux, le volcan se dévoile, sa proximité me fascine. Direction Naples. Scène napolitaine ordinaire, mon voisin, un italien bien voyant et tchatcheur essaie d’enfumer, en anglais, un jeune couple de japonais. Cette ville vous donne l’impression que vous allez vous faire arnaquer à chaque coin de rue. Les prix ne sont pas systématiquement affichés et c’est un peu à la tête du client et surtout à celle naïve du touriste.

Direction le fameux quartier espagnol, attraction touristique de la ville. Il faut prendre le métro et son unique ligne pour s’arrêter sur l’artère marchande principale, via Toledo. Étonnamment, le métro est d’une propreté parfaite en comparaison du dessus.

La Via Toledo est le Champs-Elysées local avec sa cohorte de grandes enseignes. L’armée est postée là avec des véhicules blindés pour protéger le touriste nonchalant. J’en profite pour étudier le style vestimentaire des napolitains. Les femmes semblent abonnées au noir, entre la sicilienne et la Kardashian. Lourd maquillage, cheveux noirs, pantalon de yoga noir, doudoune noire, baskets. Très peu de couleurs. Les hommes se baladent en bande. On est très proches d’une société nord-africaine.

On rejoint le quartier espagnol perpendiculaire par d’étroites rues traversées par les fameuses cordes à linge, hiver comme été. On prétend que c’est le berceau de la mafia locale. Des échoppes dégoulinent leur stock sur la rue. Les vendeurs fixent leur portable. On passe d’un vendeur de bassines en plastique à 1 euro à un pâtissier de luxe ! Plus on s’enfonce dans les ruelles, plus l’ambiance devient oppressante. Il parait que cela vient du fait que les gens vous scrutent derrière leurs persiennes.
De jeunes femmes promènent leurs bébés, elles ont toute le même style : elles se sont levées ce matin et semblent encore en pyjama, avec leur fausses Uggs aux pieds et le cheveu gras retenu par une pince crocodile. Avec les ans, elles se transformeront en matrone aux cheveux teints (pas de cheveux gris ici, les gens se retournaient sur mon passage).

Quartier Espagnol

J’en ai assez vu de ce quartier si spécial et préféré retourner vers la « civilisation ». Le musée archéologique est fermé le mardi et pas d’alternative sinon que de déambuler sans but. La galerie couverte Umberto, semblable à celle de Milan, ne retient pas vraiment l’attention. Les boutiques sont abandonnées, des vendeurs de brimborions et un McDonald ont investi les larges allées couvertes.

Galerie Umberto I

 

Il fait déjà nuit à 17h, la foule se presse partout, les trattorias se remplissent. Le crépuscule offre une promenade agréable car elle cache une partie de la saleté. Je ne me fais pas prier pour rejoindre mon B&B et cette fois-ci met mes boules Quiès histoire d’oublier les vespas qui font la course dans la ruelle.

Mercredi 28 novembre 

Ce jour est spécial, je fête mon 50ème anniversaire et pour marquer le coup, je souhaitais une expérience personnelle forte, du temps pour mes passions et moi, de manière très égoïste. J’avais opté en premier choix pour la Russie et St Petersbourg mais le voyage ne peut se faire qu’en organisé et je trouvais déjà que l’agence me fliquait un peu trop même à l’étape précoce du simple devis. L’Islande est un vieux rêve aussi mais la saison ne s’y prête pas. Florence n’est pas facile d’accès et relativement chère. Restait Pompéi et ses vestiges.

Ce matin, il fait toujours très frais avec un piquant 10° mais le ciel est dégagé et azuré. Les rues s’agitent déjà. Tout le monde sort sa marchandise sur le trottoir, tout ceci macérant dans des gaz d’échappement. Les scooters sont à pleine vitesse. Ça éructe, ça klaxonne à tout va. Approcher de la gare centrale, point névralgique du transport est une mission suicide. Au bout du deuxième jour, je comprends qu’il faut simplement se lancer, traverser hors des clous d’ailleurs effacés, ça s’arrête généralement dans un crissement de gomme. C’est au premier qui ose, à la grande gueule, à la napolitaine quoi !

 

Reprise du même train qu’hier, dans le même tortillard à travers cette poubelle géante qu’est Naples. La mer est bien identifiable quand le regard arrive à passer au delà  des habitations pustulaires. 35 minutes plus tard, vous êtes à peine descendu que vous êtes harcelé par des vendeurs et restaurateurs locaux. Même sur le quai de la gare, des napolitains vous demandent avec une fausse empathie si vous connaissez l’arrêt, ceci contre quelques euros qu’ils solliciteront sérieusement. Je réponds fermement que « non je connais mon chemin » et ils se détournent. Ce ne sont pas des mendiants ou des toxicos mais de la débrouille locale, je pense qu’il ont ça dans le sang.

Passée la horde de quémandeurs locaux (je ne vois que très peu de migrants comparé à Rome) et la vue bien moche d’un camping criard au pied du site, les premiers murs d’enceinte de la cité antique se dressent dans leur fondations mises à nu. Il faut grimper dur pour dépasser la première porte et visiter les premiers bâtiments civils. Ce qui frappe une nouvelle fois, ce sont les rues aux larges dalles par endroit usées du passage des chariots. Le gigantisme des maisons, de la basilique, du forum où quelques marbres subsistent. Ostie non loin de Rome m’avait déjà impressionnée, ici c’est cent fois plus prenant car beaucoup de maisons ne sont plus certes érigées mais ont été restaurées dans leurs étages.

Tout le monde se précipitant pour voir les lieux les plus connus, j’opte pour la maison la plus éloignée, hors les murs, donnant sur la mer. La villa des mystères, large complexe comprenant plusieurs bâtiments. Je découvre avec plaisir un mur paysagé en escaliers ici planté de romarin. Ce système destiné à cacher des murs de pierres sèches ou pentes fortes est déjà décrit dans les lettres de Pline le Jeune, relues en partie avant de venir ici, histoire de me remettre dans le bain. Qu’il est électrisant de mettre des images sur des mots.

Cette villa est la plus belle du site car les peintures y sont très bien conservées et d’une fraîcheur surprenante. Les dallages sont comme neufs. On retrouve ces couleurs emblématiques de la Rome antique, le carmin, l’ocre et le noir. Les visages des fresques sont fins et expressifs. On le remarque rapidement, plus le propriétaire est riche plus l’ornementation est soignée. Ceci est si incroyable d’être le témoin d’un tel chef d’œuvre que les larmes me viennent. Je ne peux contenir l’émotion de la puissance de la création artistique. Syndrome de Stendhal, mon ami ! Je ne compte plus les mini-dépressions devant des œuvres magistrales. Je déambule dans le dédale de pièces aux mosaïques fines, ce qui n’impressionne pas du tout le labrador qui sort de nulle part et vient se prélasser en habitué des lieux. Quel luxe devait-on y trouver ! Je chipe une branche de romarin que je coincerai dans un livre en souvenir.

Il faut revenir vers la cité par de larges allées dont je ne me lasse pas de traverser les chaussées en utilisant leur passages piétons surélevés. Il y a peu de touristes dans ce coin ci, on arrive même à être seul avec pour compagnon le Vésuve, si proche. A chaque coin de rue vous trouverez une taverne avec leur comptoir en marbre et leur amphores intégrées devant leur présentoir à victuailles, ancêtres de notre fast-food ? Des fontaines en marbre blanc comme de grandes baignoires parsèment les voies. Point de traces de charrues dans les beaux quartiers, que des trottoirs décorés de mosaïques de marbre ou de galets, des entrées au pavements toujours plus créatives. Puis viennent les quartiers des boutiques, des pièces uniques donnant sur la rue. C’est surprenant de voir que ce système est toujours d’actualité à Naples. Certains murs portent encore des inscriptions publicitaires.

A l’extrémité du site se trouve la Villa de Giulia Felice, donnant sur un immense jardin. Il y a également des thermes privés, des bâtiments pour la location, un magnifique atrium dont les colonnes de marbre sont encore visibles. Le tout menant vers l’amphithéâtre pouvant accueillir 20 000 personnes. Les gradins sont recouverts de terre et d’herbe mais la superficie est impressionnante. En face, la palestra où les athlètes s’entraînaient. Vous n’avez même pas le courage d’en parcourir le péristyle tellement il est infiniment grand.

On redescend pour attendre la nécropole, toujours située en dehors de la ville et remonter vers des quartiers où la vue de tous ces péristyles commence à se ressembler. Le théâtre avec ses 5000 places est bien conservé sauf la scène qui a disparu et vous donne un point de vue remarquable sur la ville moderne environnante. Le jour décline, la pierre se veloute de tons ocres et rouges, il est temps de rejoindre la sortie, le site fermant à 17h en hiver. Le forum est maintenant désert, je n’ai pas eu le temps de voir les thermes et le fameux lupanar aux fresques érotiques.

L’énorme statue moderne dans le temple de Vénus est le gardien des lieux, celui qui vous dit adieu et tourne le dos au Vésuve. Les pins parasols découpent le ciel doré et rose de leurs silhouettes noires, la montagne, témoin pour l’instant silencieux se drape d’un violet sombre. Je n’ai pas vraiment envie de partir, ce volcan va me manquer, il est un dieu, tantôt bienveillant, tantôt vengeur.

Histoire de marquer cette journée anniversaire, petit dîner dans un resto de spécialités napolitaines. Et comme c’est étonnant ! le patron vous place près de la porte des toilettes! Seigneur, ils font feu de tout bois ! Je refuse et me mets près de l’entrée, il n’y a pourtant pas grand monde. Le réflexe vous vient rapidement de pré-calculer votre addition des fois qu’ils décident d’ajouter quelques euros pour ne pas avoir fini votre assiette ! Je remarque la table voisine, six personnes festoient, 3 couples d’une soixante d’années, les hommes à une extrémité, les femmes de l’autre.Cette société est extrêmement machiste comparée à l’Italie du nord. On le sent, ici, la femme n’a pas vraiment son mot à dire.

Il est tard, retour au B&B avec détour par la gelateria malgré le temps froid. 3 euros de bonheur pour se rappeler le temps des vacances au camping en Italie dans les années 70, où un colporteur passait en hurlant « gelato, gelato » devant des nuées de mouflets excités. Je ne suis pas ici à la recherche de racines (les miennes étant très au Nord) mais réalise à quel point la mauvaise réputation des Italiens vient en partie de cette région.

Gelato ! miam miam

 

Jeudi 29 novembre

Le court séjour se termine, j’ai juste le temps de faire un tour dans le quartier et de visiter l’une des nombreuses églises dont Santa Chiara et son cloître décoré de larges fresques et de son jardin tout en carreaux de faïence bleus et jaunes rehaussés par les orangers et citronniers environnants. Comme toujours, pas d’indication d’entrée, heureusement qu’une vieille femme passant par là a la gentillesse de hurler « A sinistra ! ».

 

Je vous passe la fatigante mais ordinaire attitude du taxi direction l’aéroport, pourtant négocié à l’avance, mais qui tente encore de vous arnaquer de 5 euros.

Je ne peux oublier la silhouette de cette statue gigantesque tournant le dos au Vésuve. Qu’elle résume bien notre impertinence et notre orgueil face à la nature. Qu’on l’avilisse, qu’on la trahisse, elle vivra sans nous, sombres idiots que nous sommes, uniquement capables d’éviter crânement nos propres terreurs de peur de les affronter réellement.