Bavière 2025

Premières vacances depuis 5 ans et en tant que Madame B avec la douce et réconfortante impression d’être protégée même si ma moitié est novice en matière d’expéditions. Il a la courtoisie de suivre le guide sans broncher.

Il est vrai que je suis moins aventurière qu’avant. L’âge, la routine familiale (chats compris) me bercent d’un doux confort. Il a été difficile de quitter le foyer et de se remettre en mouvement.

L’attente à l’aéroport est un voyage en soit. Celui de Nantes est d’une vétusté et d’une saleté ! Le low cost a tout tiré vers le bas.

Pourtant certains individus ne semblent pas faire partie de ce décor. Dans la fille d’attente, je remarque une femme, grande, élancée, toute habillée de noir, du pardessus, au pantalon large et chaussures de cosmonaute. Sa coiffure est un carré lisse et brillant. Aucun cheveux ne sort des rangs. Elle parle d’une voix germanique, profonde, lente et mesurée, dans le vide grâce à ses airpods. Rien ne semble la déconcentrer de sa conversation. Se donne-t-elle un genre pour échapper à la vulgarité du lieu ? Elle porte à l’épaule un gigantesque shopping bag de la marque de vêtements Sandro (beaucoup plus grand que le bagage 30×40 autorisé) qu’elle place à bien à plat dans le compartiment des bagages cabines prenant la place de 2 valises. Elle s’en tape des gueux comme nous qui ont pesé leur bagage au gramme près pour ne pas gêner la collectivité ou alléger son empreinte carbone.

Malgré la culpabilité du déplacement et de ce que cela coûte à la planète, il est pourtant agréable de changer de décor pour quelques jours en Bavière, région qui m’avait laissé un souvenir enchanteur il y 5 ans pour mon dernier salon du jouet.

Dimanche 2 Février

Malheureusement en 5 ans, une altération inéluctable s’est opérée et cela m’effraie. Le changement climatique, ce vilain mot aussi menaçant qu’un croquemitaine est bien réel. Adieu la neige épaisse, ne s’étalent que des prés pelés et des sapins desséchés sur les reliefs d’Oberammergau où nous logeons, au pied des Alpes. Pas 1 cm de neige sur les trottoirs, les bacs à sel sont comme abandonnés, les piquets mesures à neige perdant l’équilibre au bord des routes. Les façades à fresques renommées sont d’une tristesse infinies sans l’écrin éclatant de la neige. Les objets décoratifs et autres « gneugneus » dont les Bavarois sont si friands nourrissent une vision de bordel ambiant à la limite de la déchetterie. Notre pollution salit tout y compris le souvenir.

Le temps est à la brume collante qui va boucher le ciel toute la journée. Je ne vois pas le clocher de l’église à 300 mètres plus bas. Ce matin, reconnaissance du terrain, la première action du combattant aguerri comme disait mon père, militaire de carrière. Sacs à dos embarqués, nous partons découvrir le bourg d’Oberammergau et son charme bavarois, choisi parce qu’il n’y avait plus de place à Ettal à 4km.

Seule retentit la cloche de l’église, les fidèles s’égrainent à la sortie, cierge en main. Le village est une énorme vitrine dédiée à l’art de la sculpture sur bois d’art religieux en majorité. Des vierges et saints de plus d’un mètre de haut… Qui vient acheter ça ici ??? Pas de chinois dans le coin. Quelques touristes européens. Je repère dans une vitrine, une jolie tête de poupée en bois comme on en faisait au 19ème siècle me jurant de revenir pour en demander le prix.

Les poupées restent une priorité lors de mes visites culturelles or le musée du jouet à Munich est en réfection, celui de Käthe Kruse trop éloigné. Je trouve néanmoins un Musée de la porcelaine Aschenbrenner à Garmisch. Ma foi, des figurines en porcelaine, on est pas loin des poupées.

Le musée est désert, même dimanche et oh ! la belle surprise il y a aussi des poupées et des crèches. C’est un petit musée, d’une collectionneuse donc tout est bien choisi. Même les porcelaines du 18ème siècle qui peuvent paraître kitsch sont d’une définition et d’une fraîcheur incroyables. Toutes les explications sont en allemand mais mon téléphone me fait une traduction en direct. J’apprends donc que ces sujets en porcelaine servaient à épater la galerie et trônaient au milieu des tables. A chaque plat amené, on réinventait ce décor de théâtre en arrangeant des scénettes bucoliques ou coquines.

L’étage du musée est réservé aux poupées et j’ai minutieusement photographié chaque poupée avec l’explicatif pour vous donner le maximum d’informations. Tout est parfaitement assemblé dans une mise en scène sobre. Chaque poupée semble avoir été choisie et aimée. Je rêverais de créer un tel musée, petit mais avec des poupées choisies et des thèmes changeant chaque année.

Les crèches

La nuit tombe très vite, on fait quelques pas dans Garmish, station de ski bourgeoise mais assez désespérée du manque de neige. Les touristes se traînent tristement, les bars scandent une musique énergique pour les murs. Notre budget étant très serré, on ne s’autorisera aucun craquage ce qui nuit gravement à tout romantisme vacancier.

Mais pour la petite histoire, Garmish est pour moi la ville de tous les signes ! C’est sûrement pour cela que j’ai voulu y retourner avec mon mari Olivier, une façon de boucler la boucle. Pour la petite histoire, il y a 6 ans quand j’effectuais mon dernier voyage à Nüremberg pour Miss Vinyl, j’avais tout juste fait la connaissance de celui qui allait devenir mon mari. J’étais accompagnée d’une amie, célibataire également, qui lors d’une grande discussion au resto me fit part de sa décision de lâcher l’affaire des sentiments et que je devrais en faire autant vu mon âge et mon éternel célibat. En gros, il était trop tard. Je me rappelle avoir été violement révoltée par cette affirmation sans retour. On peut aimer à n’importe quel âge, le cœur ne vieillit pas. A partir de ce moment là, j’ai eu un million de signes me dirigeant vers mon « chéri-to-be ». Dont celui-ci, redécouvert de jour, devant lequel je suis passée il y a 6 ans. Une belle devanture dans la rue même où ce trouvait ce restaurant. Dingue non !

Autant vous dire que « l’amie » en question ne l’est plus.

Lundi 3 Février

Voile au lointain, voile dans ma gorge. Je n’ai plus de voix, le froid sec a eu raison de mes cordes vocales. Une toux sèche m’a tenue éveillée toute la nuit. J’ai migré vers le canapé. Les grands pins que je voie par la fenêtre sont les gardiens de ma nuit. Le givre dont ils sont recouverts renvoient une douce lumière qui finira par m’endormir.

C’est fort peu combative que nous entreprenons le voyage vers la montagne la plus élevée d’Allemagne, le Zugspitze. Il faut rejoindre le lac Eibsee. De là on prend un téléphérique immense qui vous mène au sommet à 2965 m où une large plateforme vous offre un panorama inoubliable sur les Alpes. Ceci a un certain coup. 66 euros par personne. Je soupèse longuement l’affaire. Dans ces cas là, mon mari ne m’aide pas. Pas compliqué, c’est toujours « comme tu veux« . Gestionnaire j’étais avec Miss Vinyl, gestionnaire à la vie à la mort. Combien de fois aurais je la chance de grimper aussi haut (sans me fatiguer). Et ma petite Puki qui est dans ma poche semble me pousser à y aller. Elle a tellement vu de choses dans ce monde, je me dis que ça va être un record pour elle aussi.

Les souffrants de vertiges, ne tentez même pas l’aventure ! Sur la fin du parcours (d’un quart d’heure), la cabine montre presque à la verticale. L’espace est tellement gigantesque qu’on a du mal à réaliser l’échelle du paysage. Au sommet, l’air est transperçant. S’étendent devant vous ces compressions terrestres à 360°, les vestiges des forces herculéennes qui ont façonné notre terre. Devant une telle grandeur, une telle beauté, l’émotion est trop forte, les larmes coulent, je ne peux les retenir. Panique dans les yeux de mon mari, il ne sait pas quoi faire. Je le rassure, sa femme n’est pas malheureuse, elle est atteinte d’un maudit syndrome de Stendhal qui la submerge souvent devant Abu Simbel, un tableau de Vermeer, une fresque à Venise… Je pleure pour la beauté.

Des touristes chinois me sortent de mon extase. Ils agissent ici comme dans leur salon, traînent des pieds, s’interpellent bruyamment. Il y a peu de touristes étrangers. Pas de français rencontrés à ce jour.

Le ciel est cérulé, les monts peu enneigés dorment dans l’ombre. Le lac couvert de neige en contre bas est d’une perfection de pureté orné d’îlots de pins qui rappellent étrangement le Canada. Un autre téléphérique nous mène à une halte plus bas d’où l’on peu aller voir le glacier à pied. Il faut se rendre à l’évidence, l’âge est là, les kilos en trop aussi et le souffle est court. Mon cerveau croit que c’est toujours possible mais mon corps me sort tous les gyrophares possibles ! J’apprends à l’écouter, ce n’est pas facile.

Retour à la base, au bord du lac Eibsee dont j’aimerais en faire le tour (7,5 km). Un chemin très praticable et balisé en fait le permet. Il est d’un romantisme absolu, je n’ai jamais rien vu d’aussi beau dans la spontanéité de la nature. Des pins tombés aux rochers, à la mousse parcourue par des ruisseaux improvisés, tout est décor de théâtre, opéra wagnérien. La neige fine et glacée forme une dentelle sur les aiguilles des pins. C’est une forêt de contes de fées que je ne pourrai découvrir en entier. Les forces me manquent, les douleurs des muscles et tendons sont à la limite du supportable, voilà comme la fibromyalgie se rappelle à moi. En une seconde, je sais que j’en ai trop fait. Je lutte et pense en supporter un peu plus et puis non, le corps ne veut plus faire l’effort. Il faut abandonner et accepter que le corps lâche quand l’esprit est encore en quête d’aventure. Je sais qu’il faudra 3 heures, allongée sans bouger, pour redescendre de cette crise.

La suite très prochainement !

Mardi 4 Février

La crise d’hier était en partie due à la fièvre de la grippe qui me secoue. J’avais pourtant tout fait pour limiter mes interactions afin de mettre toutes les chances de mon côté ! Je tombe très souvent malade en voyage. Je mets ça sur le compte du stress qui affaiblit mes défenses immunitaires. L’épuisement et l’excitation, le surrégime cérébral et physique. En voyage, je dors peu, mon cerveau ne veut pas arrêter. Il veut tout absorber, comprendre, ressentir.

Il faut pourtant bouger ce jour car le temps n’est au beau fixe que deux jours dans la semaine. Fiévreuse, il faut quand même grimper le chemin qui mène au Château de Neuschwanstein, à petite vitesse, en se faisant dépasser par des scolaires espagnols. Je culpabilise car mon mari est un sportif né, de cette race qui mange comme 4 et ne prend pas un gramme et va, en plus, grimper des escaliers en courant pour le fun !! Je ne comprendrai jamais cela… Vous remarquerez que ces couples bizarrement assortis de grand maigre et de petite boulotte sont légions donc on est sur la bonne voie.

Il y a des cargaisons de touristes japonais attirés par l’univers gothique, très manga de cet édifice. On est parqués comme des bestiaux dans l’enceinte du château, attendant notre tour de visite (toutes les 5min). Ça défile, à l’allemande, pas le temps de s’attarder, c’est millimétré et sans âme, ça aboie des ordres. Je ne sais pas pourquoi mais à chaque fois que vous voyez ce genre d’organisation méthodique, vous pensez malheureusement à la Shoah. Il ne sont pas là pour faciliter la vie du touriste mais la leur. En groupe compact et en silence, les audioguides vissés aux oreilles, on passe de salle en salle, sans s’attarder. Pas le temps d’étudier le kitschissime du lieu, la folie évidente de Louis II de Bavière, le travail dantesque des artisans que vous êtes déjà dehors à n’avoir comme spectacle que les touristes déboussolés réduits à prendre des selfies devant l’entrée du château. Personne ne semble remarquer l’édifice drapé de givre dans un décor d’arbres candélabres dominant une plaine infinie parsemée de ces petites cabanes en bois ou d’une église ici et là.

La solitude, c’est ce que l’on ressent ici. Celle d’un roi qui a créé un écrin à sa mélancolie. Celle des touristes aussi, venus chercher du rêve comme cette jeune japonaise que je remarque, sereine, son visage rond et blanc tourné vers le soleil. Elle semble se laisser imprégner de chaque particule de lumière et d’oxygène. Elle attend simplement. C’est relativement rare de voir une jeune femme voyager seule. Est-elle à l’écart d’un groupe ? Elle porte une besace en bandoulière à laquelle est attaché un nounours rose pâle, son compagnon de voyage, son ange gardien ? J’ai été comme elle, une voyageuse solitaire et muette conversant avec la nature. Comme moi, elle n’est pas fermée aux autres, elle est ailleurs, dans une autre dimension. Mentalement, je la rassure, « ne t’inquiète pas, toi aussi, tu trouveras l’âme sœur, aussi solitaire que la tienne. Cela formera une belle union, tu verras ».

Avant de rejoindre notre logis, petit arrêt à Füssen juste à quelques kilomètres pour étancher ma gorge très irritée. Un bon café bien chaud dans un centre ville à façades colorées typiques. Nous avons remarqué que la vie ici est plus chère au quotidien. J’ai le sentiment que les Allemands tirent plus la langue que nous et que nous sommes un vrai pays de râleurs jamais contents.