Nuremberg 2019
Retour en Allemagne (ma dernière visite date de 2014) pour le célèbre Salon du Jouet. Je n’espère pas y trouver des poupées mannequins (espèce en voie de disparition) mais prendre la température d’un milieu qui se débat dans les remous de la crise et de l’ennui.
Peut-être y trouverai-je une nouvelle voie ou au contraire la visite m’aidera à prendre une décision définitive et radicale. Du moins je me divertirai en visitant les centaines de stands.
Samedi 26 Janvier 2019
Triste temps pour partir de Nantes. Le ciel est à l’image de la France des week-ends de gilets jaunes, confus et déprimant. Cela ne fait qu’amplifier mon excitation à l’idée de partir ne serait-ce que vers un pays limitrophe.
Il fut un temps où je crevais de trouille à l’idée de prendre l’avion et les décollages me tiraillaient les entrailles de frayeur. Béni soit mon burn-out, il a effacé mes peurs imbéciles de mon cerveau surchargé et je me surprends même à aimer la force d’attraction qui me plaque sur mon siège au décollage.
Le tarif fort avantageux du billet oblige à un détour vers le nord par un Amsterdam très venteux et pluvieux comme en témoigne notre atterrissage divaguant. Quelques heures d’attente en transit qui me donnent l’occasion de commander un café Americano au Starbucks. Croyez-le si vous le voulez mais malgré mes nombreux voyages aux USA, je n’avais pas goûté à la “hype” d’avoir son nom marqué sur son gobelet !
Le vol Amsterdam-Munich se fait en moins de temps qu’il n’en faut pour avaler une collation servie à bord. Le temps est neigeux et sec. La prise de la location de voiture se fait en deux temps trois mouvements, le personnel parle un anglais parfait. Vous savez que vous êtes en Allemagne car personne ne passe devant l’autre, tout est ordonné, calme et policé… et propre, ce n’est pas une légende. Quel contraste saisisant avec mon dernier voyage !
La location concernait une petite voiture trois portes, pour le même prix et parce que qu’il n’y a que ça de disponible, je me retrouve avec un mini-van 7 places. Je pourrais même faire des économies d’hôtel et dormir dedans tellement le coffre est vaste. Je ne vous parle pas de l’électronique hypnotisant moi qui me traîne avec un utilitaire sans vitres et ouverture automatiques ! Fort heureusement, une amie m’accompagne dans mon périple et pour une fois, je laisse volontiers ma place de chauffeur, le style teuton de conduite qu’il faut adopté sur les autoroutes est à l’antipode du mien.
Et ça file vite sur les voies direction le sud de Munich afin d’éviter la folie citadine. Une petite ville Taufkirchen toute en maisons traditionnelles sera le décor idéal pour une halte tranquille. J’ai choisi une gasthaus “Hotel Garni ” en tous points semblable à mes souvenirs d’enfance (j’ai vécu 3 ans en Allemagne à la fin des années 70). C’est familial et convivial, vous êtes accueilli comme un membre de la famille même si je parle quatre mots d’allemand. Mais chose remarquable, les allemands se mettent plus facilement et plus rapidement à l’anglais dans le tourisme. La chambre a ce je ne sais quoi d’un peu suranné et charmant à la fois. Tout est archi propre.
La nuit est déjà là et mon petit-déjeuner pris à 6h du mat n’est plus qu’un lointain souvenir. Un restaurant dans le coin offre une variété de plats typiques à base de choux, saucisses, bretzel sans oublier la bière qui se prend ici à un demi litre minimum. L’ambiance est un peu industrielle matinée de style bavarois, détonant et totalement inspirant. Les tablées se font suivant les arrivées et nous gagnons des voisines de table. Le serveur parle parfaitement l’anglais, il est trop hipster avec sa chemise à carreaux, son jean skinny et ses cheveux blonds très courts. J’ai le sentiment d’être dans une série télé.
Demain matin, départ pour le château de Herrenchiemsee, la folie versaillaise du roi Louis II de Bavière. J’ai vu ce château étant enfant, j’en garde un vif souvenir d’émerveillement.
Dimanche 27 Janvier
Je me réveille en nage à 3h00 du matin, je n’ai pas l’habitude de dormir dans des chambres aussi chauffées qui plus est par le sol. Silence absolu dans la rue, qui d’ailleurs, s’installe relativement de bonne heure. Vers 18h, les gens commencent à aller se restaurer, vers 21h, tout le monde est rentré chez soi. On est loin de la frénésie de la métropole rennaise.
Petit déjeuner copieux typique de l’Allemagne, tranchettes de charcuterie, fromage, œufs durs, laitage, des pains variés, tout ça compris dans le prix. Réserver ses nuits d’hôtels au jour le jour se révèle payant, il y a des promos de dernière minute très intéressantes.
Il faut gratter le pare-brise ce matin, le ciel est relativement dégagé. Direction Herrenchiemsee empruntant les autoroutes des fous du volant. Au bord du lac, on prend un bateau pendant une quinzaine de minutes pour rejoindre le château. Les roseaux sont pris dans les abords gelés, leur couleur jaune dorée offre un contraste détonant avec le bleu dur du lac, l’eau y est très claire et le ciel s’y reflète dans une infinité de tons de azurés. Les touristes se font rare en ce dimanche, des locaux principalement et ce couple de jeunes japonais qui dénote par leur style pointu apporté à leur tenue alors que tout le monde est engoncé dans d’informes doudounes. J’admire ces femmes qui ont le cheveu brillant et le vêtement sans plis, j’ai quasi une semaine de change dans une valise cabine. Dur, dur d’être fashion dans ces conditions.
Le château est à 20 minutes de marche de l’embarcadère, on passe tout d’abord devant le vieux château du 12ème siècle, grosse bâtisse monacale sans charme qui au 19ème siècle servait de maisons pour les serviteurs du roi Louis II et accessoirement d’appartement “confortable” pour sa majesté.
Il est amusant de faire le rapprochement entre les lignes architecturales des maisons et fermes locales, les ponts couverts, ces volumes imposants et larges de toits et les fermes américaines et leurs granges rouges à pans coupés que l’on rencontre dans les états du Nord. L’origine est bien là. Jusqu’à la cuisine faite de gâteaux au fromage et de pains ronds.
Le chemin vous amène à l’arrière de château, contrairement à Versailles et sa cour carrée. La façade est une copie totalement assumée de notre palais. Louis II était un fan absolu de notre Roi Soleil au point de lui consacrer un palais (comme dit mon voisin canadien, il avait un “crush“). Les visites sont guidées en allemand ou anglais. Nous sommes six de trois continents (Asie, Amérique, Europe). Interdiction de prendre des photos et l’on comprend mieux pourquoi après avoir passé les portes de l’escalier central.
Cette copie emplie d’admiration pour notre souverain nous fait rire doucement tant la démonstration sûrement sincère à la base est pesante et maladroite. C’est Versailles avec de la crème double dessus. Tout est trop. Trop faux, trop doré, trop lourd mais divinement kitsch. Pourtant tout y est, la salle des gardes, l’anti-chambre, la chambre d’apparat orienté à l’Est comme à Versailles, l’œil de bœuf. Les tableaux sont des copies, les lustres en cristal de bohème, de l’or et encore de l’or véritable comme vous n’en verrez jamais à Versailles. On sent que la guide éprouve une certaine fierté à nous annoncer que la galerie des glaces copiée mesure 22 mètres et pas 17 comme la vraie, nanananère ! Le faux Sèvres made in Bayern ressemble à des travaux d’écolier. Il y a même un appartement copie de celui de Louis XV avec le fameux bureau, soit disant identique, mais il ressemble plus à un jouet qu’autre chose. Sans parler de la salle de bains ressemblant à un bain romain avec fresques inachevées style Boucher et capacité d’un piscine : 8 heures pour la remplir. Le roi y a mis un orteil.
La guide précise bien que personne d’autre que Louis II n’a traversé ces pièces. Pas de fêtes, pas de potes à ramener, pas de girlfriend à impressionner. Il aimait à arpenter son château seul. Sur 70 pièces, seules 20 ont été finies, le reste est inachevé dans un montage de murs de briques nues. On se croirait presque à Rome.
Ce château froid suinte la tristesse, la déprime et le tragique sans parler de la folie des grandeurs du roi. Ruiné par cette démesure, le château n’a jamais été terminé. Le jardin et les plans d’eau sont fidèles aux originaux à une échelle plus réduite. Un petit crapahutage dans la neige des jardins à la française en toute solitude efface le spleen ambiant.
Ce décor voulu et construit pour apaiser les souffrances de ce qui me semble être une personnalité bipolaire reste fascinant mais déroutant. Une petite exposition retrace la vie et les demeures de ce roi mégalo. On y découvre quelqu’un de gracieux et précieux, le regard ténébreux, les lèvres ourlés. Les différentes maquettes et dessins préparatoires de ses rêves d’architecture. Cet homme vivait une passion pour Wagner et récréait à échelle humaine l’ambiance des opéras. Une sorte de Michael Jackson dans son Neverland.
Au loin les montagnes se détachent de leur frange de sapins noirs, Hashtag la mouette me fait un petit clin d’œil sur son poteau d’embarcadère mais est plus timide que sa comparse romaine.
Reprise d’autoroute. Il est impossible de s’habituer à ces frolements de voitures lancées à plus de 160 km/h, pas de flics, pas radars. L’europe (les allemands ?) nous ont imposé les limitations à 80, on a pas réussi à leur imposer nos restrictions, comme c’est bizarre !
Plus Garmisch-Partenkirchen se précise, plus les montagnes vous enserrent de leurs corps imposants comme des géants. Les chasse-neiges ont créé de hautes congères sur le bord des routes. impossible de s’arrêter à l’improviste pour prendre des photos alors que nous traversons des panoramas de cartes postales. Maisons à balcons à larges toits, églises à clochers en goutte, brume de neige. Tout n’est que sérénité argentée et bleue.
lI fait presque nuit à 17h et tout le monde déserte la station, un rapide tour du centre ville nous offre des vitrines ordonnées de vêtements bavarois, pâtisseries locales et chaussures de neige. Quelques touristes errent les mains dans les poches. Pour le seul repas chaud de la journée, il est bon de trouver un endroit douillé tout en bois et décoration bavaroise, petit napperon, banquette et encore une fois, cette manière conviviale de se joindre à des inconnus. Je me fais plaisir d’un bon goulasch brûlant de cerf aux airelles. C’est de la cuisine sans chichis, faite maison que l’on attend patiemment devant son demi-litre de bière. Mes voisins, un couple âgé, mange sans s’adresser la parole, par habitude. L’autre couple accoudé au bar , plus jeune, a les yeux rivés sur les portables.
Il est 21h est on annonce de la neige demain et après-demain, je ne sais pas encore ce que je vais faire et c’est pas faute d’avoir cherché des musées de poupées. Il y a en a un ici à Garmisch, ouvert uniquement en fin de semaine et l’après-midi et celui de Kathe Krüse, fermé quand je serai pas trop loin… ce sera pour une prochaine fois. Ou alors est-ce un signe que tout ceci est derrière moi ?
Lundi 28 Janvier
Aujourd’hui ressemble à des vacances car j’échappe à l’éreintant programme que je me suis fixée. Ce matin, c’est randonnée pour s’oxygéner et se débarrasser des mauvaises énergies de la vie citadine. Rendez-vous à l’ancien complexe olympique de saut à ski dans le plus pur style aryen : statues massives, architecture utile, le tout défraîchi par le temps. Il n’empêche que la rampe est impressionnante. J’adore regarder la discipline à la télé mais là je distingue à peine le haut du tremplin et je me dis qu’il faut être fou pour se lancer dans un tel sport.
Les abords du complexe vous mènent dans les champs recouverts d’un épais manteau de neige immaculée avec des airs de bonne grosse couette confortable. Les tas de bois rangés au cordeau dans leurs dessins géométriques égayent l’ensemble. Le chemin grimpe sérieusement vers les gorges de Partnachklamm, remarquables en été, insolites en hiver. L’eau des chutes forment des sculptures de glaces dans des tons azurés. Un étroit chemin parcourt le torrent tonitruant. Les parois transpirent de glace. Caresser ses volutes figées puis passer vos doigts sur la rugosité de la roche vous ramène à votre statut de simple mortel éphémère. Vous êtes dans un tableau romantique sur fond wagnérien. La féerie intense ajoutée au bruit sourd de l’eau vous donne le tournis. On plonge de la lumière à l’ombre par des tunnels aveugles taillés dans la roche pour arriver à l’autre versant de la montagne d’une sérénité à couper le souffle. Il faut une bonne heure pour grimper mais cela vaut largement la peine. Les allemands toujours très polis vous saluent, vous sourient, vous remercient si vous laissez le passage. Pas de cris, pas de comportements débordants. Pas de stress.
Le ciel est cyan vers le nord, ça se couvre vers l’ouest. Il est temps de partir pour le château de Linderhof, autre folie de Louis II. On emprunte la route de Ettal, bourg beaucoup plus timide avec un couvent baroque dont la coupole impose sa majesté bourgeoise. Il y a une multitude pistes de ski de fond en sortant du village. Si je reviens dans la région, je resterai dans ce coin plus familial et simple.
Plus on approche, plus le ciel se couvre et libère quelques flocons, la température baisse jusqu’à -2°. Linderhof est perdu au milieu de nulle part, il faut serpenter dans des bois pour accéder à ce pavillon-gâteau à la crème posé au milieu d’un jardin à la française. Tout est recouvert d’au moins 1m de neige. Les statues sont mises à l’abri sous des caisses en bois, les arbustes protégés. On devine la perspective du lieu, en été ça doit être merveilleux mais blindé de touristes. Cette après-midi, nous sommes à peine une dizaine. Pas de photos autorisées (et personne ne tente une transgression), la guide ne parle qu’allemand. Mais est-ce nécessaire d’avoir des explications quand le mini-château possède la même configuration que Herrenchiemsee.
Je ne sais pas comment ils arrivent à maintenir ces lieux, rien est chauffé mais d’un autre côté ce n’est pas du grand art et des toiles de maître, juste de la copie. Car là encore, c’est une ode à un Louis XIV fantasmé. Le lieu possède 8 pièces tournant atour de l’escalier central. Tout est recouvert à outrance, même un prince saoudien trouverait ça “too much”. Du style rocaille à la feuille d’or sur chaque centimètre carré. C’est kitsch à mort. Plus je progressais, plus j’arrivais à l’indigestion. En fait, Louis II s’est inventé une famille plus noble et moins frappée que la sienne. Il y a des portraits des filles Nesle, de Choiseul, de Pompadour mais arrangés sauce 19ème. Au passage, on a sauté un siècle mais c’est un détail dans la tête du roi du spleen. L’apothéose ce sont les consoles à trumeaux en porcelaine de Saxe avec guirlandes croulantes, je meurs… Je ne pense pas que ce roi ait été un esthète mais plutôt une midinette.
A la sortie du château, les petits chemins enneigés permettent de voir au loin la gloriette et le temple, d’observer des petites mésanges dans leur mangeoire et la grandeur des Alpes au loin.
Direction Füssen pour se rapprocher au plus près de Neuschawnstein. La route est totalement recouverte de neige et fait la moitié de sa largeur à cause des congères. On serre les fesses à chaque croisement de véhicule mais le paysage est sublime. Les versants des montagnes plongent directement dans le lac enneigé de Forggensee pendant des kilomètres. Seule au monde, pas un bruit, pas un mouvement, c’est comme retenir sa respiration pour mieux la reprendre et apprécier la vie. Il y a des endroits comme ça qui vous donnent envie de mourir dans la seconde, terrassé par un excès de beauté.
La route nous fait passer la frontière autrichienne pendant quelques instants pour retrouver l’Allemagne au milieu d’un tunnel sous la montagne. Fûssen est une ville dédiée au balades à vélo le long du lac. C’est une Riviera sans touristes en ce temps polaire. Les guirlandes lumineuse peinent à attirer les foules. La jour tombe, demain nous tenterons une promenade.
Pas eu le temps de se restaurer ce midi, il est temps de faire vite pour trouver un café et y manger ces gâteaux allemands que j’adore. Tout ferme à 18h et chrono en main en 20 minutes, ma large part de gâteau aux noix et mon chocolat chaud sont engloutis. Pour digérer au mieux, rien de mieux qu’une marche au milieu de cette ville pittoresque avec ses façades peintes de fresques, ses églises baroques et ces maisons de couleur. La ville est déserte, nous croisons des espagnols en train de photographier des pâtisseries en vitrine et des migrants éthiopiens abandonnés au fin fond de la Bavière.
Un petit détour au supermarché pour acheter de la bière, ben oui, ici c’est comme boire du vin pour nous, c’est la base. Ne dit-on pas qu’à Rome, il faut vivre en romain. Et quoi de mieux après des kilomètres de marche dans la neige que de siroter sa bière dans son bain. C’est mon petit côté mauvais goût à la Ludwig.
Mardi 29 Janvier
Il a légèrement neigé cette nuit sur le lac, une dizaine de centimètres, de quoi faire une nouvelle virginité au paysage. Quelques promeneurs dynamiques longent l’étendue d’eau dont la couche de glace fait une bonne trentaine de centimètres et se presse comme un mille-feuilles sur les abords. Je découvre la présence d’étranges outils, de longs et fins troncs peints en rouge avec de larges anses de cuir à leurs extrémités : la perche à sauver le patineur imprudent, il fallait y penser.
L’air est glacial mais ça s’éclaircit. La route est sinueuse jusqu’au Château de Neuschawnstein, d’ailleurs on l’aperçoit assez rapidement là-haut perché sur son piton rocheux. Il se fond avec le paysage, tout en rectitude, les pins noirs et immenses, les roches segmentées à la verticale, il ne fait que suivre le mouvement de la nature avec les hautes tours élancées.
La montée se fait par une route très escarpée, 30 minutes où il faut mieux arrêter de discuter avec sa voisine afin de ne pas perdre son souffle. En ce début de matinée, peu de monde se lance dans l’escalade, seuls les touristes asiatiques empruntent les calèches tout en gardant le nez rivé sur leur smartphone. Il y a 40 ans, je grimpais cette même côté et mes parents se foutaient bien de savoir si j’avais mal aux pieds ou non et auraient encore moins payer pour me faciliter la montée.
Pour visiter, il faut attendre son tour de passage, encore une heure à attendre en plein froid. Le temps qu’il faut pour admirer le panorama époustouflant donnant sur la plaine. Le ciel est encore couvert, le manteau neigeux est entrecoupé de longues lignes d’asphalte, quelques habitations comme des petits champignons. De l’autre côté, les versants de la montagne vous sautent au visage, les fins pins ressemblent à une armée squelettique dévalant un champ de bataille parsemé de roches éboulées, de troncs vaincus par le temps. Au fond, un ruisseau tinte des ses clochettes cristallines, la petite mésange picore la neige scintillante. Les nuages se déplacent comme des anges.
Pas étonnant que Louis II ait choisi cet endroit comme piédestal à son château, fantasme d’opéra wagnerien. Il y a Dieu et l’écrin de la nature. Il y a Ludwig et la prison de sa décadence.
Au bout d’une heure, la cour intérieure aux allures de château-fort se remplit de chinois ce qui inquiète le peu de touristes européens autour. Il va falloir trouver sa place dans la masse compacte. A peine passée l’entrée, on vous remet un audio-guide dans votre langue (pour une fois), la guide n’est chargée que de vous transvaser d’une pièce à l’autre et de vous ordonner d’écouter l’engin. Donc tout le monde lève la tête au même moment pour admire un lustre ou se pencher sur un pied de lit… pathétique et sans âme. On a pas le temps de lambiner comme j’aime le faire, c’est au pas de charge. Il y a certes peu de pièces à voir mais les fresques 19ème inspirées de Tristan et Iseut ou de Lohengrin méritent un œil attentif. Le travail du bois aussi dans un style gothique en surdose dans le mobilier et les ornements. Car le style est inspiré de l’époque médiévale avec une touche byzantine-mauresque. Un vrai décor de cinéma, par moments on se croirait chez les Elfes du Seigneur des Anneaux. Le roi n’y a habité que 4 ou 5 mois en tout et ne se promenait seul dans cette demeure que la nuit ce qui devait être sublime à la lueur des milliers de chandelles.
On termine la visite par les immenses cuisines restées inchangées avec leur rôtissoires en fonte et les ustensiles en cuivre, tout ça pour un seul homme et ses manies. Et dire qu’il déplorait le fait de ne pas être un roi surpuissant et autoritaire, qu’est-ce que ça aurait été ! Heureusement, qu’il y a des fous pour croire en leurs rêves. Je m’imagine à croire que si j’avais été reine et riche à millions, je n’aurais pas eu de remords à faire construire un Millenium Falcon grandeur nature, un ciel étoilé artificiel, Tatooine dans mon jardin et la salle de commandement de Darth Vador en salle du trône.
La descente du chemin tout en résistance sur les genoux donne le temps d’observer la faune chinoise. Pas étonnant qu’ils idolâtrent ce château, antre de la copie car ils portent tous des faux sacs Gucci et des fausses bananes Supreme, le tout attifé avec des doudounes sacs de couchage et l’assemblage des couleurs n’est définitivement pas leur truc. Et chose drôle, un chinois ou un japonais ne peut pas prendre la pose normalement les bras le long du corps avec un air gêné comme nous. Non, il faut gesticuler, faire le signe de la victoire ou tenir une boule de neige comme un gâteau (!!!).
Prochaine étape imprévue sur le chemin de Nuremberg, Augsbourg, ville natale du père de Mozart dont on peu visiter la maison. Croyez-vous qu’à l’heure d’internet , on puisse annoncer au visiteur que le musée est fermé jusqu’en automne 2019, ben non, on laisse touriste se casser les dents. Je n’ai pas de bol avec les musées pendant ce voyage. Le temps est glacial mais quitte à être là, ville typique autant voir une ville du début 18ème avec ses façades colorées de tons pastels.
Avant que la nuit ne tombe, il faut rejoindre la ville étape de Guzenhausen, seul endroit proposant des chambres raisonnables tant le Toy Fair rameute du monde aux alentours (on est à 60 km). C’est une petite ville avec forcément une fortification transformée en château, des maisons aux couleurs de bonbons et des rues pavées. J’ai quitté à regret les chalets en bois massifs et les congères d’un mètre. Il n’y a pas à dire, plus je vieillis moins je supporte la ville et plus je suis en recherche de zénitude. La visite du salon demain va donc être une rude épreuve.
Mercredi 30 Janvier
L’auberge dans laquelle je séjourne est tout de bois couverte du plafond en caissons peints de vert et rouge, aux murs de pins, tout comme les banquettes, tables et chaises. Je ne me lasse pas des petits déjeuners à l’allemande : une variété de pains, des confitures maisons, des saucisses de toutes sortes, du fromage, des yaourts et fruits frais. Il faut bien ça pour tenir dans le vent polaire. -4° ce matin et de la route sinueuse avec chapelets de camion qu’il est impossible de doubler à la mode allemande. Quand plusieurs camions se suivent et que la visibilité est nulle, le principe est de se déporter carrément sur la file de gauche, d’accélérer à fond devant le nez de l’automobiliste en sens inverse et de s’insérer en pilant entre deux camions. Cela semble être une méthode convenue car personne ne vocifère, klaxonne ou se met dans le fossé. La conduite ici est toujours stressante malgré un mini-van surpuissant.
On pourrait croire que visiter un salon du jouet est aussi drôle qu’une cour de récré géante mais non, ce sont des stands les uns derrière les autres avec des décorations plus ou moins élaborées, des commerciaux sans grande connaissance de leurs produits et beaucoup de professionnels spécialisés dans le professionnalisme professionnel. J’entends par là les accros de la réunionite en costards à badge, les brasseurs de vent. Même pas un stormtrooper pour se prendre en photo, juste Maya l’abeille.
J’ai un faible pour les entreprises familiales à échelle humaine et discussions cocasses où ça ne sait pas parler anglais (la langue du salon), les créateurs dont on voit que ce n’est le job de se vendre. On s’échange des cartes de visite, des catalogues (je ne sais pas comment je vais ramener ça en cabine ?). C’est une ruche vrombissante, remuante. Tous ces adultes qui se creusent la tête pour des gamins qui se désintéressent de plus en plus du jouet au profit de la tablette, n’est-ce pas ironique. Je me demande si ce ne sont pas les grands qui veulent rester plutôt dans l’enfance (c’est peut-être mon cas).
J’étais à la recherche du Graal, de la poupée mannequin qui allait remplacer Barbie et Tonner… je peux continuer ma quête ou me jeter dans le vide. Je trouve que cette industrie manque cruellement d’imagination. Ce n’est qu’une succession de poupées type American Girl, la vache à lait qui cartonne outre-atlantique, alors tout le monde s’insère dans la brèche, avec plus ou moins de réussite. Rien ne sort du rang, à croire qu’ils font tous appel au même bureau d’études qui leur a vendu la même tambouille : “Alors, c’est l’histoire d’une petite fille qui trouve une poupée qui est en fait une fée et lui donne des pouvoirs magiques pour lutter contre les vilains qui la harcèlent à l’école, lui font faire de cauchemars, etc…”. Véridique et ennuyeux, entendu cinq fois cette après-midi. En passant, le message sous-entend qu’une puissante extérieure et dominante (Dieu, la firme capitaliste) donne quelque chose, la petite fille ne le trouve pas en elle et en sa force. (Luke Skywalker, où es-tu ?).
Il y a des compagnies qui ont tellement été rachetées qu’elles y ont perdu leur âme (Kathe Krüse) et leur couleur de vinyle au passage. Et malgré les vêtements “cheap“, le glitter trop présent pour être honnête, certains rechignent encore à avouer que tout est fait en Chine. Mais tout le monde sait que vous avez délocalisez pour baisser les coûts, assumez !
Après vous avez le stand français Petit Colin avec staff autour d’une table qui ne vous calcule même pas. Qui vient à votre rencontre pour vendre le produit ? Sylvia Natterer en personne ! Les bras m’en sont tombés, une artiste mondialement reconnue qui fait la retape ! J’étais prête à me prosterner devant elle. C’est une personne tellement sincère. Elle m’a raconté ses déboires dans la profession après être passée de compagnie en compagnie. Mon plus beau moment du salon.
Le mauvais point revient à Mattel qui après m’avoir dit qu’ils ne seraient pas à Nuremberg, y étaient bien évidement et n’ont toujours pas voulu me fixer de rendez-vous même au pied du stand “Ils étaient tous en réunion”. Mattel, la compagnie qui ne fabrique plus de poupées mais de la réunion. Pourquoi ne pas graver cette devise au fronton de votre siège social ? C’est pitoyable et totalement irrespectueux envers leur base de fans et en amont, le travail de longue haleine des indépendants. Je crois qu’au fil des années, j’ai gagné mes galons de “chieuse” car je m’évertue à leur dire leur quatre vérités sur le marché de la collection. C’est clair, c’est plus facile de faire l’autruche.
En règle générale, j’ai trouvé dans ce salon, beaucoup de gens qui voulaient vendre mais ne savaient pas trop comment. C’est comme s’ils priaient la Sainte Vierge des Jouets en espérant un miracle. En fait, le consommateur est une masse dont ils ne saisissent par les contours et encore moins les envies. Alors on fait appel à des bureaux d’études qui devinent une tendance (suivant un algorithme très certainement) et ça donne la même bouillie. Tout le monde cherchait un distributeur, ben tiens ! Des années après avoir fait disparaître les intermédiaires pour grossir leurs marges, ils s’aperçoivent que c’est difficile de vendre dans un monde en crise sans désirs, quelle bonne blague ! (Ce que Mattel est entrain de réaliser avec un train de retard).
Le monde de la poupée n’est pas mort (ça c’est une bonne nouvelle), il est coincé dans le purgatoire.
Je peux vous affirmer que le salon est éprouvant physiquement, le brouhaha constant, l’effort intellectuel pour parler en anglais tout le temps, pas de pause déjeuner ou boissons, mal au pieds, c’est tout juste si je n’ai pas fait pipi dans une bouteille (j’aurais du le faire devant le stand Mattel tiens en signe de protestation !) et c’est avec plaisir même que je me retape 1h d’autoroute de dinguo pour arriver à ce havre de paix qu’est Rothenburg ob der Tauber. Une ville fortifiée hors de temps, protégée de ses enceintes, au calme. Demain, pour une fois, repos sans penser aux poupées.
Jeudi 31 Janvier
Aujourd’hui jour off avec un rythme un peu moins soutenu. Promenade autour des remparts sur le chemin de garde de Rothenburg ob der Taub, le temps d’admirer les toits en tuile et cet agencement de maisons un peu chaotique si représentatif du Moyen-Age, ça ressemble un peu aux alentours du château d’Amboise. La différence se situe dans les couleurs des crépis, des tons pastels d’amande, de rose et de bleu entrecoupés des lignes noires des colombages. Les fumées s’échappent des cheminées, une fine couche de neige sèche blanchit les toits. Il fait un froid polaire à se cacher le nez dans son écharpe. Des grappes de touristes se baladent le nez en l’air à admirer les frontons si particuliers des maisons avec leur enseignes en métal. Peu de commerces sont ouverts, c’est la basse saison et la plupart d’entre eux ré-ouvrent en Mars. Ils n’y a que des cars entiers de chinois à visiter le coin. Quand je suis venue la première fois, il y a 10 ans, c’étaient des japonais.
Le point de vue sur la vallée est toujours aussi époustouflant avec ces collines boisées et dans les vallée les maisons ocres du 16ème siècle. Il y a trois églises de différentes confessions aux clochers de formes différentes carillonnant de concert. La place principale est immense avec son hôtel de ville style Renaissance, ses fontaines aux figures grimaçantes. La ville est restée intouchée depuis le 16ème siècle. Tout cela doit être magnifique l’été avec les fleurs aux fenêtres et les décorations que les allemands aiment tant : des mobiles, des rideaux en dentelle, des tire-bottes laissés dans la rue.
Cela fait plusieurs heures que j’arpente les rues glaciales et j’ai comme un gros coup de mou en ce milieu d’après-midi. L’excitation du salon est tombée, le retour est proche. En totale déconnexion, j’ai naïvement oublié qu’il fallait recommencer à travailler et plonger le nez dans les catalogues récoltés au salon.
Un saut dans la ville voisine de Ansbach nous permet de faire un peu de shopping en vue de retour et comme chercher des Barbies est une seconde nature pour moi, je tombe sur un rayonnage de nouveautés à la droguerie Müeller.
Le ciel se pare de couleurs pastel, l’air heureusement se fait plus doux, le temps de trouver une gasthaus “dans son jus” avec encore son poêle en faïence, tout est couvert de bois du sol au plafond. C’est quasi complet, il n’y a que des hommes à toutes tables ! Dans un espace aussi confiné, ça sent la testostérone et l’after-shave ! Il y a même un cardinal en habit ecclésiastique attablé avec son staff ! Je n’en ai jamais vu un d’aussi près ! Pas impressionnée, je me régale d’une bradwurst (saucisse de veau) avec du chou légèrement sucré un délice. La bradwurst nichée dans un pain viennois avec plein de moutarde, c’est toute mon enfance. C’était la récompense d’après piscine le dimanche après-midi quand nous habitions Trèves il y a 40 ans. J’ai retrouvé exactement les mêmes saveurs. Je ne peux résister à goûter un dessert à base de crème parfumée blanche parfumée à un vin blanc cuit, un délice.
Il est 22h, je sens que la nuit va être courte, j’ai un groupe de chinois dans la chambre d’à côté qui ne sait pas autrement parler que fort. C’est bien dommage, je suis comme un petit oiseau dans son nid douillet, sous les combles d’une maison du 18ème.
Vendredi 1er Février
Ce matin en me levant, j’avais 5 ans. J’ai éprouvé la même excitation naïve en tirant mes rideaux : un paysage de conte de fées s’offrait à moi. Le village du Père Noël sous la neige. Si ce n’est les rares antennes satellite, on se croirait dans un conte des frères Grimm.
Mais le temps du retour presse et il faut reprendre la route vers Nuremberg puis Munich. Il neige gentiment et avec le salage des routes qui transforme le tout en bouillie, on n’y voit absolument rien. Il faut avoir les yeux partout pour ne pas stresser à la vue de ce cordon ininterrompu de camions tchèques et polonais. Le déplacement d’air de certains bolides passant à ma hauteur me fait toujours sursauter. Mais je me fais plaisir, moi qui suit incapable d’ordinaire de doubler qui que ce soit à grande vitesse avec mon utilitaire, j’atteint ici les 160 sans m’en rendre compte et me prends pour un Ayrton Senna du dimanche.
En fait, j’ai un peu hâte d’arriver à Munich car je n’ai pas eu ma dose de peinture. Je ne me sens pas bien si je n’ai pas au moins parcouru un petit musée. Je jette mon dévolu sur la Alte Pinakotheke. Problème, impossible de se garer aux alentours, qui plus est avec un mini-van. Il faut encore trouver une place à Pétaouchnok et marcher, marcher dans le froid polaire. Ceci ajouté au fait qu’on est plongé dans l’hyper-activité de la ville après 5 jours de sevrage, s’en est beaucoup, je commencer à saturer du bruit, à avoir mal partout bref à faire ma difficile. Je ne supporte vraiment plus les villes et leur course stupide.
Heureusement, la vue de toiles célèbres ou non va me réconforter et me mettre du baume au moral pour un bon bout de temps. Le musée est on ne peut plus austère dans un style néo-renaissance, la collection permanente se situe au premier étage. Un musée à l’ancienne, comme au Louvre, haut de plafond, couleurs discutables en fond, tableaux noircis et assombris par les ans. Peu de monde en visite, c’est bien agréable.
Je suis très surprise de voir des toiles célèbres de Boucher et surtout ce portrait connu de Madame de Pompadour par Boucher que j’imaginais tout petit alors qu’il fait deux mètres. Ce n’est pas un musée majeur mais il y a beaucoup de Rubens, d’œuvres de jeunesse de Rembrandt et une belle collection de Brueugel et le fameux auto-portrait de Dürer.
Cette fois-ci, je n’ai pas fait de syndrome de Stendhal, je n’ai pas larmoyé devant une toile en pensant que je pouvais mourir. Mon hyper-sensibilité est partie avec le raz-de-marée du burn-out. Beaucoup moins pathétique mais j’ai quand même eu un coup de foudre pour ce charmant monsieur.
C’est bientôt la fin d’après-midi, un petit tour sur la Marienplaz s’impose. J’ai de vagues souvenirs du lieu il y a 40 ans, je me rappelle des automates tournant en manège au sommet du clocher. Maintenant ça ressemble aux Champs-Elysées, des enseignes lumineuses qui vulgarisent l’endroit et ce Neues Rathaus pourtant majestueux complètement oxydé par la pollution. Des bâtiments aussi noirs, on en voit peu car la plupart des capitales européennes font des efforts pour garder leur patrimoine. Je suis frigorifiée et très fatiguée, je n’ai même pas le courage de marcher encore jusqu’à la célèbre brasserie sachant qu’il faut en plus une bonne heure de route et d’embouteillages avant de regarder un hôtel proche de l’aéroport. Je commence à ressentir le poids des ans, l’éventualité d’un matelas confortable et d’une bonne grosse couette me tente plus qu’un verre de bière dans le brouhaha.
Demain samedi, la journée se passera dans les salles d’embarquement à attendre les vols puis encore de la route jusqu’à Rennes. Je ne sais pas du tout ce qui s’est passé en une semaine en France et j’espère que le feuilletage des catalogues de poupées chassera le spleen du retour car je serais bien restée éternellement là bas entre Ettal et Linderhof, au pays du blanc silence.
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